lundi, décembre 31, 2007

Een beetje van alles (XII): du neuf!

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, j'ai le plaisir de vous annoncer que je rejoins l'équipe de du9 - l'autre bande dessinée dès le mois de janvier 2008. Plusieurs de mes anciens entretiens XeroXed devraient y être publiés ainsi que de nouveaux articles.

Une bonne année à tous (et plus particulièrement à Esteban)!

vendredi, décembre 14, 2007

Un parrain comblé

J'ai dû vous promettre plein d'entretiens et d'articles dernièrement mais il y avait une autre promesse, bien plus belle, qui s'est accomplie en ce lundi 10 décembre. J'ai l'immense plaisir de vous annoncer la naissance du petit Esteban dont les parents, dans un élan d'inconscience totale, m'ont choisi comme parrain. Au vu de la photographie, mon filleul partage déjà avec moi un goût immodéré pour le hip-hop. Ses parents regretteront amèrement de m'avoir confié une quelconque responsabilté dans sa vie lorsque Esteban et moi reprendront à tue-tête les titres de 50 Cent en français à la manière de Pascal Brutal. Et en parlant de ça, je viens de me rappeler que je dois aller chercher une gourmette en argent (au nom de Pascal, bien entendu, c'est notre maître à tous). Et terminer les faire-parts de naissance aussi... Je leur avais bien dit que c'était une mauvaise idée de me choisir pour ce rôle! Mais bon... allez comprendre les désirs d'une femme enceinte?!

PS: Merci Redwane. Merci Caro. Je vous jure que je bosse sur ces faire-parts!!!

jeudi, décembre 06, 2007

Een beetje van alles (XI): Dominique A

© 2007 Dominique A, Bézian, Alfred & les éditions Charrette

Les éditions Charrette consacrent un superbe ouvrage aux textes du plus bruxellois des Nantais. Les paroles du talentueux auteur-compositeur et interprète ne sont pas ici adaptées en bande dessinée mais illustrées par une trentaine d'auteurs et non des moindres. Bézian, Stefano Ricci, Alfred, Pascal Rabaté et Cécil font partie de ces musiciens du dessin qui accompagnent le temps d'un concert de papier des morceaux aussi réussis que "Le Courage des Oiseaux", "Pour la Peau" ou "Sous la Neige".
A NOTER: cet ouvrage est un tirage unique limité à 1000 exemplaires!


jeudi, novembre 22, 2007

Séance de dédicaces (rappel) et Yoann sur le Spirou #51

© Atrabile & l'employé du Moi

Après une longue journée à installer de nouveaux meubles pour la librairie et à en déménager le lourd contenu, je n'ai pas le courage de me lancer dans le "Previews Reviews #2". Le sujet attendra la fin du week-end... Sorry.
Sinon, pour rappel, Pascal Matthey & Cédric Manche seront en dédicaces à la Bulle d'Or ce samedi. Pour plus d'infos, voir quelques posts plus bas.
Et puis, on m'a signalé que Yoann devrait reprendre le dessin de Spirou et Fantasio à partir du tome 51. A suivre (et surtout à confirmer)!

mercredi, novembre 21, 2007

Een beetje van alles (X): Alex Robinson

© Alex Robinson & Rackham

Une entrevue avec Alex Robinson est disponible sur le site de l'émission radio Dans ta Bulle!.


dimanche, novembre 18, 2007

Chronique: "L'Idiot" de Kang Full

Mon article pour le White Night de décembre:

© Kang Full - Casterman

Avec des joyaux comme Histoire Couleur Terre (de Kim Dong-Hwa chez Casterman) ou Massacre au Pont de No Gun Ri (de Park Kun-woong chez Vertige Graphic), la Bande Dessinée coréenne s’impose à mes yeux comme l’une des meilleures surprises de ces dernières années. Une véritable culture du Neuvième Art s’était en effet établie au Pays du Matin Calme depuis plusieurs décennies déjà mais de manière plus discrète que chez son voisin nippon. Ses artistes ont ainsi pu développer une sensibilité qui leur était propre et un catalogue d’œuvres fortes qui ne demandaient qu’à être découvertes. Les « manhwa » de Kang Full font partie de ces lectures indispensables qui feront entrer le lecteur dans un univers entièrement neuf. L’art de Kang Full se caractérise par un style graphique naïf qui ne laisse en rien présager la profondeur et la complexité des sentiments qu’il désire partager. L’auteur parvient en effet à décrire avec une grande justesse chacune des couleurs qui forment la palette des émotions, qu’il s’agisse de l’angoisse et de l’horreur dans L’Appartement ou de la nostalgie et de la tendresse dans L’Idiot. Ce dernier album nous invite à suivre le parcours de Ji-rho, une pianiste virtuose qui revient dans son quartier natal de Séoul après dix années passées aux Etats-Unis. Elle retrouvera ses amis d’enfance et surtout Seung-lyong, un jeune homme attardé à qui personne n’a jamais porté la moindre attention. Au travers de ce récit « chorale » dont la construction narrative tient du travail d’orfèvre, Kang Full nous dévoilera par touches successives comment cet enfant jadis méprisé a bouleversé la vie de chacun des habitants de ce quartier populaire sans qu’aucun d’eux ne s’en soit jamais aperçu. L’auteur signe là l’un des plus beaux albums de l’année dont le second (et dernier tome) devrait paraître sous peu (chez Casterman dans la collection Hanguk).


jeudi, novembre 15, 2007

XeroXed: James Kochalka !!!!

© James Kochalka

Les éditions Ego Comme X annoncent une nouvelle fois la parution en français de l'un des ouvrages autobiographiques les plus attendus et les plus imposants de ces dix dernières années, à savoir le American Elf de James Kochalka! Sa sortie est prévue pour le 25 janvier 2008. Le carnet XeroXed #5 consacré à l'auteur (et annoncé lui aussi depuis septembre 2004) paraîtra donc le même jour! Je vous donnerai plus d'informations bientôt. Promis!

dimanche, novembre 11, 2007

Séance de dédicaces: Pascal Matthey & Cédric Manche

Pascal est enfoncé: Chaque soir avant de s’endormir, le petit Pascal fait une prière en compagnie de sa famille où il confie ses craintes et ses espérances. Lorsqu’il se retrouve seul pourtant, il prie encore une fois, afin de chuchoter ce qu’il n’ose pas dire tout haut : il a peur de la mort.
Pascal est enfoncé est un récit muet d’inspiration autobiographique sous le trait d’un dessin délicat. Par petits détails et différentes anecdotes, le récit se développe et une évidence gagne l’esprit du petit personnage : ce sont des adultes qui écrivent les bandes dessinées pour enfants et le monde est plus compliqué qu’il n’y paraît.
Après le Verre de Lait, Pascal est enfoncé est le deuxième album de Pascal Matthey chez l’employé du Moi, ou comment un gag obscur de Boule et Bill et le décès d’un ami nous dessinent l’enfance en creux (source: l'employé du Moi).
A propos de J'ai tué Géronimo: entretien avec Cédric Manche

PS: La Bulle d'Or, 124 bd Anspach, B-1000 Bruxelles, tél: 02/513.72.35.

samedi, novembre 10, 2007

jeudi, novembre 08, 2007

XeroXed: le programme

Anders Nilsen a accepté un entretien! Un carnet Xeroxed consacré à l'auteur de Des Chiens, de l'Eau et de The End #1 devrait donc paraître dans les mois qui viennent.
Les carnets d'entretien avec Sammy Harkham (Poor Sailor) et James Kochalka (American Elf) sont toujours prévus au programme. Patience!
Je travaille aussi sur un entretien avec Nathalie Meulemans, la responsable de la maison d'édition des Enfants Rouges (pour une nouvelle section baptisée Editor's Cut).
Voilà pour les news!

mercredi, novembre 07, 2007

Een beetje van alles (VIII): Dans ta bulle !

L'émission radio québécoise Dans ta bulle! (sur Choq.fm) de cette semaine est consacrée (en partie) à l'album Les Dunes de David Libens & Philippe Vanderheyden. La sympathique équipe de ce programme consacré à la Bande Dessinée (souvent indépendante) recevra la semaine prochaine l'un des responsables de Drawn & Quarterly (à savoir Jamie Salomon) pour une rencontre que j'attends avec impatience.

Pour écouter les émissions, cliquez sur le lien Dans ta Bulle! (cfr. plus haut) ou directement sur Choq.fm (ICI)


lundi, novembre 05, 2007

Een beetje van alles (VII): la projection de "Panorama"

L'affiche du film pour le Festival Pink Screens et la réalisatrice Loo Hui Phang lors du débat (© Loo Hui Phang & Xeroxed.be).

Je me suis donc rendu à la projection de Panorama, l'adaptation cinématographique de l'album éponyme de Cédric Manche & Loo Hui Phang. Cette dernière, qui signe aussi la réalisation du film, était présente avec Cédric Manche lors de l'événement qui se tenait dans le cadre du Festival Pink Screens.

Le mensuel #99 du cinéma Nova présentait le film comme suit: "Panorama raconte l'étrange histoire du photographe Pu Dchié et de son voisin Liu, étudiant solitaire et discret. Entre eux s'est nouée une relation ambigue, faite de confidences et de non-dits. Le mystère qui entoure le comportement de Pu Dchié intrigue Liu jusqu'à l'obsession: il va l'espionner et découvrir peu à peu la face cachée de son ami. Loo Hui Phang réalise ici un premier film fascinant et rigoureux, adapté de sa bande dessinée éponyme".

Ceux d'entre vous qui ont lu l'album constateront déjà ici quelques différences notables malgré une intrigue relativement similaire entre les deux oeuvres (et ceux qui n'ont pas lu l'album devraient se l'acheter!). De fait, pour réaliser l'adaptation dans les limites du budget imposé, Loo Hui Phang a transposé son récit au coeur de la communauté chinoise de France et non pas au Japon. De même, l'intrigue se déroule de nos jours et non plus dans les années 1920. En dehors de ces changements majeurs, le fond de l'histoire et son ambiance étrange sont conservés.

J'ai trouvé à ce film tous les défauts et toutes les qualités d'une première réalisation. Loo Hui Phang s'en sort donc bien. Je trouve son travail remarquable sur de nombreux points comme ceux du rythme, du découpage et des plans. Mes seuls regrets résident dans la qualité parfois pauvre de la photographie et des prises de son ainsi que du jeu de certains acteurs.

Le débat qui a suivi la projection était très intéressant car Loo Hui Phang a répondu de manière très profonde aux quelques questions pertinentes qui furent posées.
Elle a évoqué la difficulté de trouver des acteurs pour ce film car la communauté asiatique est très peu représentée sur les écrans français (tant à la télévision qu'au cinéma). C'est au théâtre qu'elle a découvert les acteurs et actrices de son film. Ces derniers étaient ravis de jouer d'autres rôles que ceux qui leur sont habituellement proposés pour le grand écran (à savoir ceux de "voyous" pour les hommes et de "femmes soumises" pour les actrices). Cette situation explique peut-être en partie le problème que j'ai rencontré avec le jeu de certains d'entre eux. Une certaine "théâtralité" ne passe pas forcément bien sur la toile. Quoi qu'il en soit, Loo Hui Phang signala aussi que ce film lui avait donné envie de réaliser un documentaire sur cette communauté souvent négligée et que de travailler au sein de la communauté qui était la sienne lui avait permis de mieux comprendre une partie des éléments personnels abordés dans sa bande dessinée.
Elle s'est expliquée sur une autre modification de son récit qui tient en l'absence de représentation de "bondage" dans son film. Si cet élément est présent dans l'album, il a été remplacé par des photographies d'hommes et de femmes sans pilosité (ni cheveux, ni sourcils, ni poils pubiens). Elle justifiait son choix par le fait que si le "bondage" pouvait apparaître comme étant dérangeant dans le Japon des années 1920, ce n'était plus autant le cas aujourd'hui. Les photographies présentées dans le film me semblent en effet plus appropriées à l'effet recherché.
Elle n'a, par contre, pas tenu à s'expliquer sur d'autres points plus obscurs de son récit. Elle désire en effet que chacun en retire sa propre interprétation. "Il n'y a pas une vérité unique. J'ai la mienne, je tiens à ce que vous conserviez la vôtre" a-t-elle conclu à cette question.
Il a aussi été intéressant d'écouter le développement de sa réflexion sur les ressorts dramatiques ou comiques de son film. Elle cherche à créer une émotion nouvelle pour le spectateur, une émotion qui la touche elle-même en tant que spectatrice. Elle se refuse à présenter des scènes qui seraient dramatiques dans le seul but d'être dramatiques ou drôles dans celui d'être drôles. Une des scènes de son film présente une repas dans la famille du photographe dont le frère, totalement fou, se prend pour Elvis Presley. La scène fait sourire mais elle met en avant le drame que vit Pu Dchié qui est méprisé par ses parents car il fait un travail indigne (celui de "capteur d'images") alors que ceux-ci vénèrent leur fils dément. Loo Hui Phang mélange ainsi tragédie et humour (sans être vraiment dans l'oxymore) pour créer une émotion décalée et inattendue. J'ai cependant ressenti pleinement cette émotion bien plus au travers de sa bande dessinée que de son film. Il faut dire que le travail de Cédric Manche reste en tout point remarquable. Son dessin et son découpage sont tout simplement parfaits en ce qu'ils perdent totalement le lecteur dans des sensations étranges qui le laissent perplexe tant ce dernier ne parvient à les définir (comme dans Des Chiens, de l'Eau et The End #1 d'Anders Nilsen ou l'Homme sans Talent de Tsuge Yoshiharu).

J'ai cependant bon espoir, au vu de ce premier film, que Loo Hui Phang nous offre bientôt de très belles oeuvres cinématographiques car il est indéniable qu'elle dispose d'un talent certain et d'une approche aussi "fascinante que rigoureuse".

Panorama de Loo Hui Phang, moyen-métrage de 59 minutes, projeté le 1er novembre 2007 dans le cadre du Festival Pink Screens au cinéma Nova (Bruxelles).

Wikipédia (II): Cédric Manche

Et voici une nouvelle page pour Wikipédia: celle de Cédric Manche!
J'en ai profité d'avoir des infos de première main grâce à notre entretien pour la créer sans attendre...

dimanche, novembre 04, 2007

Et de deux !

Les Xeroxed & le Totem (© Xeroxed.be)

Il y a tant de cartons à déballer pour le moment que j'en ai oublié de fêter le deuxième anniversaire du blog! XeroXed.be Forever!



jeudi, novembre 01, 2007

Een beetje van alles (VI): "Panorama", le film

Le film "Panorama" (adaptation cinématographique de l'album éponyme de Cédric Manche & Loo Hui Phang) sera projeté ce jeudi 1er novembre à 17h30 au cinéma Nova (à Bruxelles).

PS: je sais, je m'y prends tard, mais je n'avais pas de liaison internet lorsque l'info est tombée, sorry...

Een beetje van alles (V): le "Retour du Manga qui pue qui tue"

On peut lire cette déclaration de Midam faite à Daniel Couvreur dans le journal Le Soir du mercredi 31 octobre & jeudi 1er novembre 2007 (supplément "La Culture"): "Je ne suis pas un fan de mangas, c'est un genre trop pauvre, trop codé, trop violent". L'auteur de Kid Paddle (dont le onzième tome s'intitule "Le Retour de la Momie qui pue qui tue") poursuit: "Chez Kid Paddle, la violence reste toujours imaginaire. Il n'y a jamais de passage à l'acte. C'est juste un bouillonement intérieur, comme nous en connaissons tous un jour ou l'autre, en faisant la file au supermarché, quand une vieille dame devant a oublié le code de sa carte bancaire". Je comprends entièrement. J'expérimente en ce moment le même "bouillonement intérieur" face à ces propos réducteurs sur le Neuvième Art nippon. Mais comme Kid Paddle, je canaliserai mes impulsions négatives...

samedi, octobre 20, 2007

Correspondances (V): CEDRIC MANCHE

Entretien avec Cédric Manche

Cédric Manche est l’un des co-fondateurs de la maison d’édition bruxelloise de l’employé du Moi. Il est parvenu, au cours de ces dernières années, à s’imposer comme une figure incontournable de la Bande Dessinée alternative belge. Ses albums Panorama et J’ai tué Géronimo (parus chez Atrabile) laissent éclater la brillance de son style, à la fois épuré et élégant. Rencontre.


Couverture de J'ai tué Géronimo (© 2007 Cédric Manche, Loo Hui Phang & Atrabile)

Nicolas - Qu'est-ce qui t'a poussé à entrer à l'ERG (Ecole de Recherche Graphique) ? Envisageais-tu alors de travailler sur le média bd?

Cédric Manche - Je suis rentré à l'Erg en catastrophe après avoir été recalé à l'examen d'entrée de cinéma d'animation à la Cambre. Un copain dans le même cas a proposé de s'inscrire en vidéo à l'Erg. Je ne connaissais ni l'école ni la vidéo mais ça m'a interpellé. Je n'ai pas regretté ce choix. La bande dessinée m'intéressait depuis longtemps mais je ne l'ai abordé qu'en 3ème année.

N. - Comment s'est opérée la création du SPON (hebdomadaire de bandes dessinées alternatives)?

Cédric Manche - Nous étions plusieurs étudiants de l'Erg à avoir envie de collaborer. Chaque semaine, David Libens et Stéphane Menu vendaient pour cinq francs belges une feuille a4 dessinée/photocopiée recto-verso, le Proulou. Un jour que nous étions 5, 6 chez moi, David a lancé l'idée de faire un hebdomadaire ensemble, nous sommes rapidement tombés d'accord sur le nom, le nombre de pages, le format et l'intention de réaliser le Spon pendant un an seulement. Le Spon devait être un moyen de montrer des dessins qui traînaient dans nos tiroirs et des histoires en bande dessinée. Rapidement les récits ont pris toute la place et le Spon s'est ouvert à d'autres personnes.

N. - J'ai le sentiment -en regardant les dessins de Martin dans les premiers SPON- que vous partagiez un style de dessin assez proche (rapport à l'espace vide, sobriété, visages réduits à l'essentiel). Vos recherches graphiques vous influençaient-elles les uns les autres? Y avait-il une sorte d'émulation dans l'équipe du SPON?

Cédric Manche - Oui, il y avait une saine émulation. La contrainte de remplir 24 pages/semaine à six était un véritable moteur. D'une semaine à l'autre, la qualité passait d'une personne à l'autre et donnait envie de faire aussi bien, voire mieux, la semaine suivante.
Les histoires de Martin étaient mes préférées, Martin pouvait aborder un sujet ou un sentiment parfois complexe avait une grande économie et terriblement de sensibilité et d'efficacité. J'aime aussi beaucoup l'attention qu'il porte aux attitudes des personnages.
Je crois en effet que nous nous sommes naturellement influencés les uns les autres, dans le graphisme et dans la narration.
Parfois, je fais un dessin et je me rends compte qu'une partie pourrait être de la main d'un des membres de l'équipe. C'est troublant.


Cédric Manche dans le premier SPON (5 janvier 1999). Dessins de Cédric, Martin & Bert

N. - Dès le premier SPON, on te retrouve avec une trompette dans les mains. Cela semble déjà annoncer les années qui suivirent. As-tu été fort partagé entre ton affection pour le dessin et celui pour la musique ou as-tu toujours su concilier les deux?

Cédric Manche - J'ai pensé suivre les cours d'une école de jazz mais j'y ai renoncé. Je n'avais plus vraiment envie de suivre un enseignement poussé qui m'aurait demandé de laisser le dessin de côté. Martin, lui, a fait le pas et a choisi de se consacrer exclusivement à la contrebasse.
La musique a autant d'importance dans ma vie que la bande dessinée. Parallèlement au travail assez solitaire du dessinateur, la musique me fait bouger et voir des gens, elle m'apporte un certain équilibre. Bien sûr cet équilibre est parfois difficile à gérer mais ça a peu d'importance en rapport aux émotions que ces disciplines me procurent.

N. - Tu travaillais beaucoup au bic à tes débuts. Comment as-tu abordé cette technique?

Cédric Manche - En 3ème année, j'ai réalisé en quelques planches l'adaptation d'une nouvelle de Raymond Carver au bic de couleur. A partir des couleurs primaires, j'obtenais optiquement les couleurs secondaires par superposition de hachures. Je pense reprendre cette technique un jour bien qu'elle soit assez laborieuse. Je suis resté attaché au trait et au bleu si particulier du bic.

Une planche de Cédric Manche dans le quatrième Spon (26 janvier 1999)


N. - Dans le quatrième SPON (cfr. ci-dessus), tu te mets en scène en train de tracer des cases. Tu dis (à Martin?) que tu as envie de "dessiner une grande histoire en BD avec des monstres, des guerriers, des méchants, de la bagarre". Tu as encore envie de ce type de saga épique aujourd'hui?

Cédric Manche - Si je trouve un scénario qui nécessite ces éléments et qui me plait pourquoi pas, même si dans la planche à laquelle tu te réfères je baisse rapidement les bras en trouvant une excuse bidon. J'ai envie de m'attaquer à différents types de récits, plus ou moins fantaisistes.

Un superbe exemple de l'utilisation des "phylactères d'images mentales" dans le Spon #7 (février 1999)

N. - Dans le sixième SPON, tu dessines le "BoBody", ton premier récit où apparaissent des "phylactères de vue subjective" qui représentent le champ de vision de ton personnage (ou ses pensées). Dès le numéro suivant, tu développes cette approche avec ce très beau récit de deux planches où l'on découvre un homme dont les pensées nous cachent les barreaux de la prison où il est enfermé (cfr. ci-dessus). Comment en es-tu arrivé à pousser plus loin cette recherche graphique et narrative (dans Abruxellation, etc...)?

Cédric Manche - Cette technique narrative de case dans la case ayant pour contenu la vision subjective du personnage à laquelle se substituent parfois des images mentales m'est venue dans les premiers Spon. Je me suis éfforcé de la développer et de l'utiliser en créant du sens, jamais par esthétisme. Cette manière de raconter me plait beaucoup car elle demande un certain travail mental du lecteur qui doit nourrrir ces sous-case pour avancer dans le récit.
Je me suis rapidement rendu compte que mélanger des dialogues avec ces sous-cases posait des problèmes de hiérarchie des informations, de clarté, j'ai donc arrêté d'utiliser des dialogues. J'aime l'idée de ne raconter que par l'image.
Le récit à besoin du lecteur pour se créer mais je ne peux pas lui en demander trop, je dois lui donner assez d'informations pour lui permettre d'avancer jusqu'ou je le veux. J'aime l'idée que le récit soit différent pour chaque lecteur (en fonction de sa manière de nourrir ces sous-cases) bien qu'au final il arrive là ou je le désire.
Je pense reprendre ce travail des images mentales prochainement...dans une sorte de récit policier. Un premier album solo qui devrait sortir à l'employé du Moi...

N. - Je sais que tu es un grand admirateur de Chris Ware. Tu lui rends d'ailleurs hommage dans le Self Service de Fréon. Son travail est-il une source d'inspiration pour toi?

Cédric Manche - Oui, je crois qu'il est assez incontournable. C'est une des dessinateurs que j'estime contemporain dans son utilisation de ce que je considère être le fondement de la bande dessinée: le raccord des images entre elles (sans texte). Il y a de magnifiques moments muets dans ses planches.
Je crois que la force de ses récits vient également d'une grande justesse de rythme. J'apprécie aussi énormément son travail de la couleur et des lumières qui sont elles aussi au service de l'histoire et de l'émotion. (Je parle ici des aventures de Jimmy Corrigan)...

Travail au bic et phylactères de "vue subjective". Extrait de l'hommage à Chris Ware (in: Self Service, 2001).

N. - Comment s'est déroulé ta rencontre avec Loo Hui Phang et la genèse de Panorama?

Cédric Manche - Loo Hui Phang m'a appelé après avoir découvert mon récit (autoroute) dans le collectif Abruxellation. Nous nous sommes rencontrés à Bruxelles ou elle m'a raconté le scénario dans les grandes lignes. J'ai été interpellé par l'idée de dessiner un personnage photographe, le Japon et les années 20.
Il m'a fallu du temps pour trouver mes marques. J'ai commencé à dessiner au stylo pinceau sur un format a3 mais je ne me sentais pas vraiment à l'aise. J'ai opté pour la plume et un format a4 sur lequel je travaille directement ma double page presque au format final du bouquin. J'aime dessiner petit.
Je me suis beaucoup amusé sur le découpage mais l'encrage à la plume m'a donné bien du fil à retordre.
Finalement, ce premier album m'a demandé près de 3 ans et demi de travail.

N. - Dans Panorama, tu travailles principalement sur un découpage en gauffrier (9 cases/planche). Qu'est ce qui t'intéresse dans cette approche?

Cédric Manche - Le rythme de Panorama est assez constant, il y a peu d'envolées dans l'action, les relations qui unissent les personnages se révèlent petit à petit, de manière ténue, par un regard, un mot, sans coup d'éclat.
Il m'a semblé juste d'utiliser le gaufrier pour ne pas mettre plus en avant un élément qu'un autre et laisser ainsi place au lecteur dans sa perception et son interprétation du récit.

N. - Tu modifies ton approche graphique sur le deuxième album de la trilogie. Qu'est ce qui t'a poussé à travailler avec un trait plus fin?

Cédric Manche - Ce léger changement graphique est venu assez naturellement. Je ne me suis pas réellement dit je vais affiner mon trait. Le scénario demandait plus d'attention sur les expressions de visage et le personnage principale de J'ai tué Geronimo étant une femme, j'ai eu envie de mettre la barre un peu plus haut dans la précision tout en restant dans un graphisme aussi épuré que possible.

La couverture et une planche de Panorama (© 2004 Cédric Manche, Loo Hui Phang & Atrabile)

N. - As-tu participé à l'adaptation de Panorama en moyen-métrage? Peux-tu nous en dire plus sur ce film?

Cédric Manche - Non, pas vraiment. J'ai juste fourni les dessins qui ont servi pour les tatouages d'un des personnages. Le film Panorama est une adaptation assez libre du livre car elle se déroule à l'époque contemporaine dans le quartier chinois de Paris et non plus dans le Japon des années vingt. Ce changement de contexte implique des changements dans les moteurs du scénario mais les thématiques abordées restent les mêmes. On peut d'ailleurs retrouver certaines de ces thématiques dans d'autres livres écrits par Loo Hui Phang.
Loo Hui Phang va probablement adapté les deux autres parties du triptyque...

N. - Avant d'attaquer le troisième volet de la trilogie entamée par Panorama, tu travailles sur un projet d'album avec Philippe de Pierpont au scénario. Peux-tu déjà nous en parler?

Cédric Manche - Nous y raconterons la dérive de 2 adolescents, l'histoire est l'adaptation très libre d'un fait-divers d' il y a quelques années. Le scénario est presque bouclé. Je suis en train de réfléchir à la technique que je voudrais employer, si la couleur n'aurait pas un rôle à jouer...Je crois que le bouquin devrait compter près d'une centaine de pages.

N. - Il semble que le travail sur les silences y sera primordial. Qu'est-ce qui a motivé cette approche?

Cédric Manche - Il est un peu tôt pour en parler, finalement les dialogues pourraient y avoir une place plus importante que prévue, tout dépendra des choix narratifs que nous adopterons...mais l'album sera ponctué de moments muets...

N. - Tu as aussi participé récemment au 10x10 des éditions Atrabile. Apprécies-tu ce genre de travail sous contraintes?

Cédric Manche - Oui, mais j'aurai aimé pouvoir y consacré plus de temps. Ceci dit, les contraintes étaient uniquement formelles donc la liberté restait grande. Je me suis donc imposé mes propres contraintes en décidant de suivre un canevas basé sur un principe musical (la polymétrie), l'histoire est naturellement apparue en dessinant. Une histoire de musiciens, muette.

N. - Ton rapport à la musique est donc récurrent. As-tu le sentiment que ton travail de création musical est proche de celui de ton travail graphique? Les abordes-tu dans le même état d'esprit, d'inspiration? Où as-tu le sentiment d'être dans des "états" différents?

Cédric Manche - Oui, je pense les aborder de la même manière: avec beaucoup de réflexion, trop peut-être, et surtout avec la même nécessité.
J'aime le coté direct de la musique, le rapport à l'instant présent. On joue et on provoque des émotions, le retour du public est direct. C'est très fort.
Dans l'un comme dans l'autre, j'essaie d'aller à l'essentiel (garder des silences), de ne pas utiliser d'artifice. Les 2 disciplines se complètent et s'influencent mutuellement. Je pars parfois d'une idée musicale pour dessiner et inversément...
Je ne pourrais me passer ni de l'un ni de l'autre (et inversément!) .


Entretien réalisé via courrier électronique entre juin et septembre 2007 (© Xeroxed.be & Cédric Manche)



mercredi, octobre 17, 2007

Een beetje van alles (IV): Donjon

© 2007 Delcourt - Keramidas

Et voici le projet de couverture du Donjon Monsters dessiné par Keramidas. Et le lien vers le site des Murmures du Donjon où les amateurs de la série trouveront certainement leur bonheur!



dimanche, octobre 14, 2007

Previews Reviews (I): décembre 2007

Chaque mois, lorsque je reçois le catalogue "Previews" qui présente les milliers de sorties prévues aux Etats-Unis, mes vieux démons ressurgissent. Je perds toute notion des priorités (j'en ai déjà si peu) et me plonge sans attendre dans la lecture de ce pavé à la recherche des quelques comics qui illumineront bientôt mes soirées de lecture.

Voici quelques titres qui ont attiré mon attention pour le mois de décembre 2007.


© Fantagraphics, Drawn & Quarterly, DC Comics, Marvel & Scholastic


Chez DC Comics:

- All Star Superman #10 de Grant Morrion, Frank Quitely & Jamie Grant.
Je ne suis pas un fan de Superman (plutôt de Batman et Daredevil) mais je voue une admiration sans borne au duo Morrison/Quitely. Leur travail sur New X-Men et WE3 était déjà remarquable (sans compter que Grant Morrison est aussi le scénariste d'Animal Man, d'Arkham Asylum et de Doom Patrol). Les auteurs en sont toujours au stade de réappropriation de l'univers. J'attends maintenant qu'ils y apportent leur "British Touch".

Chez Drawn & Quarterly:

- Berlin #14 de Jason Lutes.
Le numéro 13 étant sorti il y a peu, je suis ravi de constater que Lutes avance enfin sur le deuxième volet tant attendu de sa trilogie. Berlin: La Cité de Pierres était un petit chef d'oeuvre dans lequel l'auteur analyse la montée du National-Socialisme dans toutes les couches sociales de l'Allemagne d'avant-guerre.
- Crickets #2 de Sammy Harkham
Joie et félicité! La seule sortie de ce titre aurait déjà suffi à rendre mon mois de décembre festif! J'ai écrit à Vertige Graphic pour connaître la date de publication du premier Crickets annoncé depuis longtemps mais je n'ai reçu aucune réponse. J'ai l'impression qu'il faudra prendre son mal en patience pour obtenir une version française...

Chez Fantagraphics:

- MOME #10, collectif
Avec Jim Woodring, Sophie Crumb, Tom Kaczynski, Robert Goodin, Dash Shaw, Ray Fenwick, John Hankiewicz, Tim Hensley & Jonathan Bennett...
- The Last Musketeer de Jason
Pour ceux qui préfèreraient la présentation de Fantagraphics.

Chez Pantheon Books:

- Black Hole (soft cover) de Charles Burns
17.95 $ pour ce petit bijou en version souple, c'est une nouvelle bonne raison de se jetter dessus!

Chez Scholastic (Arthur A. Levine Books):

- The Arrival de Shaun Tan
J'en ai déjà beaucoup parlé lors de sa sortie chez Dargaud sous le titre de Là où vont nos Pères. L'entretien avec l'auteur est toujours disponible ici. Je rajouterai simplement ces deux phrases parues sur la publicité publiée par l'éditeur: "Schockingly imaginative... One of the best graphic novels of the year" (Jeff Smith, author of Bone) et "An absolute wonder" (Marjane Satrapi, author of Persepolis). Et puis aussi que la couverture de l'édition américaine est vraiment superbe!

Chez Marvel:

- Omega: The Unknown #3 (of 10) de Jonathan Lethem, Farel Dalrymple & Paul Hornschemeier
De l'Hornschemeier chez Marvel... J'ai hâte de voir ça! Surtout que l'auteur de Trois Paradoxes (paru chez Actes Sud) participe à la reprise d'un héros Marvel qui fut créé en 1976 et disparu en 1977 après seulement 10 épisodes. J'espère que ce personnage atypique inspirera une aventure aussi décalée que celle qu'inspirèrent les anti-héros de Doom Patrol à Grant Morrison.
- Powers: The Definitive Collection volume 2 (hard cover) de Brian Michael Bendis & Mike Avon Oeming
Des entretiens, des scripts, des croquis et plein d'autres choses en bonus! Si le second recueil de luxe est aussi riche que le premier, il devrait combler tous les amateurs de la série. Powers, c'est du Bendis "bonne période" alors n'hésitez pas!

A+

vendredi, octobre 12, 2007

Fanzine (I): "Labozine" #1&2

© 2007 Labo Zie team

Un nouveau fanzine vient de voir le jour! Plus d'infos sur les blogs des auteurs de ce collectif dynamique: Blog du Labo Zie

Blog d'Issara
Blog de Dardelet
Blog de Samaël



jeudi, octobre 11, 2007

Een beetje van alles (III): "Constantine"

Détails de deux planches de The Horrorist de Delano & Lloyd (© Vertigo)

Je tiens à m'excuser auprès de tous mes compatriotes belges pour avoir failli à mon devoir d'information. J'aurais dû aller voir le film Constantine au cinéma et ainsi les avertir qu'ils risquaient de perdre leur soirée devant sa diffusion télévisée (comme je viens de le faire). Mais tout n'est pas perdu. Les films diffusés lors des "Grandes Premières" de la chaîne RTL-TVI sont en général programmés quelques jours plus tard sur les chaînes françaises.

Chers lecteurs français, j'espère donc pouvoir vous convaincre de ne pas prêter attention à cette adaptation cinématographique librement inspirée de la série Hellblazer. Et pour ceux qui ont vu le film, sachez qu'il ne faut en aucun cas juger l'oeuvre originale sur base de cette piètre interprétation. Hellblazer est un titre remarquable à bien des égards. Il ne regroupe pas seulement quelques uns des meilleurs récits fantastiques et d'horreur du Neuvième Art, il est aussi une superbe critique sociale de l'Angleterre au travers du détournement subtil d'un genre (un peu comme dans le 28 Days Later de Danny Boyle). Oubliez Keanu Reeves et pensez à David Bowie! Imaginez ce dernier évoluer sous la plume acide d'Alan Moore, de Jamie Delano, de Grant Morrison et de Garth Ennis! Jettez-vous sur les albums Hellblazer: Original Sins, Hellblazer: Rare Cuts ou encore Hellblazer: Dangerous Habits (dont le scénario a servi de trame à l'adaptation). Et puis surtout vendez votre âme pour vous procurer Hellblazer: The Devil you Know qui contient le récit The Horrorist, un superbe pamphlet politique signé Jamie Delano et David Lloyd (qui y signe ses plus belles planches)! Et pour ceux qui ne peuvent lire ces ouvrages dans la langue de Shakespeare, écrivez massivement à Panini Comics pour réclamer une traduction de ces quelques albums.
John Constantine mérite bien mieux que d'être interprété par un acteur qui a autant de charisme qu'une chaussette mouillée. A moins qu'il ne s'agisse là de la punition que Dieu a infligée à notre exorciste favori? Non. Je n'ose y croire. Quel crime peut-on commettre pour que son nom soit éternellement associé à un film que Lucifer lui-même ne projeterait pas aux Enfers?

Een beetje van alles (II): Nouvelle affaire Moulinsart

En regardant ce soir le JT de la RTBF, j'ai pu assister à l'intervention du journaliste Jean-Claude Defossé qui annonçait que le reportage baptisé "Tintin a-t-il vendu son âme au diable?" (qui devait être diffusé juste après le journal dans l'émission « Question à la Une ») ne serait pas présenté suite à une action en justice intentée par Nick Rodwell. Voici le communiqué de presse des journalistes de l'émission qui explique la raison de ce changement de programmation:

"Monsieur Rodwell, administrateur-délégué de la SA Moulinsart a, en effet, obtenu une ordonnance du président du tribunal de première instance de Bruxelles rendue ce 10 octobre sans avoir entendu les arguments de la RTBF. Cette ordonnance interdit à la chaîne publique la diffusion de certaines séquences du reportage jusqu'à ce qu'un juge de fond ait pu se prononcer sur les griefs faits au programme.
Nick Rodwell, qui gère le patrimoine Tintin, reproche à l'équipe de « Questions à la Une », une caméra cachée et la communication d'un échange de courriels. La caméra cachée mettait en évidence l'existence d'une liste noire de spécialistes d'Hergé que la société Moulinsart refusait de voir figurer dans le reportage.
En conséquence, la RTBF a décidé de ne pas diffuser le reportage tout en protestant vivement contre ce qui constitue une censure préalable contraire à la liberté d'informer garantie par la Constitution.
La RTBF introduira, sans délai, les recours nécessaires pour faire prévaloir la liberté d'expression et d'information et permettre à ses téléspectateurs de voir cette émission dans son intégralité.
"

Pour de plus amples informations: le blog de "Questions à la Une".

mardi, octobre 09, 2007

Een beetje van alles (I): Le Chat du Rabbin


© Joann Sfar/Dargaud

Vous n'êtes pas sans ignorer que Joann Sfar travaille sur l'adaptation de sa série Le Chat du Rabbin en long métrage d'animation. J'ai cependant appris, de source fiable, qu'il avait fait appel à un dessinateur de bandes dessinées dont le style est radicalement différent du sien pour l'épauler dans l'élaboration du design des personnages. Je ne trahirai pas ici l'identité de cet auteur (pour un certain nombre de bonnes raisons, je vous assure) mais je peux néanmoins vous dire qu'il est à mes yeux l'un des dessinateurs les plus doués de sa génération. Joann Sfar désire par là donner une autre portée à son oeuvre et ne pas voir du "Sfar" à l'écran. Le résultat devrait donc être assez éloigné de l'adaptation télévisée de son "Petit Vampire". Je vous en dévoilerai plus dès que les circonstances me le permettront.

lundi, octobre 08, 2007

Wikipédia

A la recherche de quelques informations sur la toile, je me suis aperçu qu'aucune page n'était consacrée à des auteurs comme Dave Cooper ou Debbie Drechsler sur le Wikipédia francophone. Je me suis donc lancé dans le projet. Voici déjà le lien vers la page toute neuve de Debbie Drechsler: ICI. Je devrais en créer d'autres bientôt (dont celles de Dave Cooper et de Kevin Huizenga).

mardi, octobre 02, 2007

Je suis un grand frère avant d'être un libraire

Alors j'en profite pour faire un peu de promo pour mon petit frère (qui est plus grand que moi en fait). Il a remporté la semaine dernière le prix de la "micro-économie" au prestigieux concours Enterprize. Si vous voyez une Smart au logo WAY CUP, n'hésitez pas une seconde. Achetez un café à emporter! Et comme mon frère le dit si bien: "en plus, c'est équitable".

Pour voir le sujet sur Télé Bruxelles et la remise du prix (présenté par Christophe Deborsu)!

Bravo, frangin! Tu le mérites!

PS: Notre nom de famille s'écrit "Verstappen" et non pas "Verstrappen"!

vendredi, septembre 21, 2007

Après "40075 km", voici "Grand Papier"

© 2007 Employé du Moi, Grand Papier & Max de Radiguès
Après son projet internet 40075 km (publié il y a peu en album sous le même titre), la maison d'édition bruxelloise de l'Employé du Moi nous propose de découvrir les carnets de ses auteurs ainsi que des illustrations et des histoires courtes de nombreux jeunes talents. On peut déjà y lire des récits de Max de Radiguès, David Libens, Bert, David Scrima, Laurent Dandoy, Claude Desmedt et bien d'autres. Pour visiter Grand Papier: ICI

samedi, septembre 01, 2007

Conférence (I): "Représentations de l'abus sexuel sur mineurs dans la Bande Dessinée autobiographique"

© Debbie Drechsler, Craig Thompson, Dave Cooper, Olivier Ka & Alfred

Suite à la publication du carnet Totem et des carnets Xeroxed, j'ai été contacté par le Centre de Ressources Interrégional pour le Suivi des Auteurs de Violence Sexuelle (CRISAVS) qui désirait obtenir des informations sur les ouvrages de bande dessinée consacrés aux abus sexuels. Après plusieurs échanges constructifs avec l'un des responsables de ce centre, il m'a été proposé de présenter une conférence sur le sujet. J'ai donc sauter sur l'occasion pour approfondir mon étude des oeuvres de Debbie Drechsler, Dave Cooper et Craig Thompson ainsi que de l'album Pourquoi j'ai tué Pierre d'Olivier Ka et Alfred. J'ai donné une première conférence ce vendredi au CHRU de Lille auprès d'une audience composé de spécialistes dans ce domaine difficile. Je tiendrai à nouveau cette conférence le vendredi 14 septembre au Palais des Congrès de Paris dans le cadre du CIFAS 2007 (Congrès International Francophone sur L'Agression Sexuelle). Le prix d'entrée de 150 € devrait convaincre la majorité d'entre vous de ne pas vous presser dans l'auditoire. J'espère cependant pouvoir présenter cet exposé lors d'autres événements (je vous tiens bien entendu au courant).

J'espère avoir l'occasion de poursuivre mes recherches dans ce domaine. Le débat et les discussions qui ont suivi la conférence furent très enrichissants. De nombreuses questions ont été soulevées et j'aimerais pouvoir y apporter des réponses. Quel impact un témoignage dessiné peut avoir sur d'autres victimes, sur l'empathie des agresseurs? Peut-il servir d'outil pédagogique? Une planche vierge ne serait-elle pas plus abordable, moins "effrayante" qu'une page blanche aux yeux d'un enfant abusé qui doit illustrer son trauma? Quelles conclusions tirer des représentations fréquentes de personnages à visage animalier dans ces oeuvres? Bref, il y a du travail. Surtout que je suis convaincu que la Bande Dessinée, souvent liée à l'enfance (réduite malheureusement à l'infantilisme) et à la nostalgie, crée une résonnance d'autant plus forte lorsqu'elle s'attache à représenter l'enfance bafouée.

Je tiens à remercier aussi Olivier Vanderstukken (du CRISAVS) et son équipe pour leur acceuil ainsi que toutes les personnes présentes ce vendredi 31 août.

Voici la bibliographie des titres que j'ai cités ou présentés durant mon exposé pour ceux qui n'ont pas eu l'occasion d'en avoir une copie à la conférence.

Bibliographie de la conférence « Représentations de l’abus sexuel sur mineurs dans la Bande Dessinée autobiographique »

Ouvrages cités lors de l’introduction

- Understanding Comics : The Invisible Art de Scott McCloud, Paradox Press
(L’Art Invisible : réimpression en français prévue chez Delcourt)
- Un Objet Culturel non identifié de Thierry Groensteen, L’An 2 (coll. Essais)

Albums sur la représentation du traumatisme ou de l’intime :

- Maus d’Art Spiegelman, Flammarion
- Attends... de Jason, Atrabile (coll. Flegme)
- Journal III (décembre 1993 - août 1995) de Fabrice Neaud, Ego comme X
- Le Playboy de Chester Brown, Le Seuil (The Playboy est paru en anglais chez Drawn & Quarterly)

Albums analysés au cours de la conférence

- Dan & Larry in Don’t do That ! de Dave Cooper, Le Seuil
(Dan & Larry est paru en anglais chez Fantagraphics)
- Suckle : the Status of Basil de Dave Cooper, Fantagraphics (en anglais)
- Crumple: the Status of Knuckle de Dave Cooper, Fantagraphics (en anglais)
- Daddy’s Girl de Debbie Drechsler, L’Association (coll. Ciboulette)
(Daddy’s Girl est paru en anglais chez Fantagraphics - épuisé)
- Blankets, Manteau de Neige de Craig Thompson, Casterman (coll. Ecritures)
(Blankets est paru en anglais chez Top Shelf)
- Barnyard Animals de Craig Thompson in: Happy Endings, Dark Horse Maverick (en anglais)
- Pourquoi j’ai tué Pierre d’Olivier Ka & Alfred, Delcourt (coll. Mirages)

Autres albums à découvrir de ces auteurs

- The Summer of Love de Debbie Drechsler, L’Association (coll. Ciboulette)
(The Summer of Love est paru en anglais chez Drawn & Quarterly)
- Ripple : a Predilection for Tina de Dave Cooper, Le Seuil
(Ripple est paru en anglais chez Fantagraphics)

Autres albums sur le thème de l’abus sexuel (non exhaustif)

- Return of the Elephant de Paul Hornschemeier, AdHouse Books (an anglais)
(Le récit Le Retour de l’Eléphant est repris dans l’album éponyme paru en français chez Actes Sud)
- The Maxx de Sam Kieth, Image (en anglais)
- Elle ne pleure pas, elle chante d’Eric Corbeyran, Amélie Sarn & Thierry Murat, Delcourt (coll. Mirages)

PS: Daddy's Girl est une oeuvre autobiographique à l'origine que Debbie Drechsler a modifiée plus tard en fiction. Dan and Larry est un mélange de souvenirs de Dave Cooper et de rêves (ou plutôt de cauchemars).

A+

samedi, août 11, 2007

"Vilebrequin": l'album de l'été!

Vilebrequin d'Obion & Le Gouëfflec chez Casterman (KSTR)

Certains accouchements peuvent être difficiles. Celui de l'album Vilebrequin connut de nombreuses complications. Une première édition, dont les pages avaient été accidentellement décalées, fut reniée par les deux auteurs qui exigèrent, à juste titre, qu'elle ne fut pas commercialisée. Il fallut attendre la mi-août, après une lutte qui fut largement médiatisée sur la toile, pour que l'éditeur réimprime l'oeuvre telle qu'elle avait été amoureusement conçue par Obion et Le Gouëfflec. Les lecteurs qui ont pris leur mal en patience sont aujourd'hui récompensés. Vilebrequin mérite en effet d'être lu dans les meilleures conditions car le travail ciselé des deux auteurs est tout simplement remarquable. Rarement scénariste aura offert à son dessinateur un terrain de jeu aussi propice à stimuler son talent. Car Vilebrequin est une silhouette qui s'élance sur les toits à la recherche d'un coffre à fracturer, un signe callygraphique qui s'étire entre les faisceaux et les trappes des systèmes de sécurité, une ombre qui danse loin des torches de ses poursuivants. Vilebrequin pratique l'art du cambriolage comme Giacomo Casanova celui de la séduction; avec style et élégance. Il parle avec tant d'érudition de sa passion et des mystères qui entourent le contenu de certaines chambres fortes qu'il parvient presque à éveiller en nous une nouvelle vocation. Evitez cependant de dérober cet album chez votre libraire; Le Gouëfflec et Obion méritent leur part du butin!

Pour plus d'informations:
Le blog d'Obion: ICI
Vilebrequin sur Bulle d'Air: ICI

vendredi, juin 22, 2007

XeroXed (XIII): LIZ PRINCE

© Liz Prince/Nicolas Verstappen/Cà et Là

Le treizième numéro du XeroXed est désormais disponible chez Multi BD. Il est consacré à la jeune dessinatrice américaine LIZ PRINCE et est offert à l'achat d'un de ses albums (Delayed Replays vient de paraître!). Ce livret reprend un entretien avec Liz ainsi que six illustrations inédites tirées de ses carnets de croquis!
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Entretien avec Liz PRINCE
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Nicolas - La bande dessinée vous a intéressé dès la troisième primaire (« cours élémentaire 2 » en France). Quels étaient les albums que vous lisiez à l’époque ?
Liz Prince - Les « canards » de Carl Barks et Don Rosa (Donald Duck, Oncle Picsou et les autres…) furent ma toute première inspiration. J’ai collectionné ces albums durant de nombreuses années. J’ai découvert plus tard le premier épisode de Bone dans la revue Disney Adventures qui compilait divers entretiens et des bandes dessinées. C’est à la lecture de Bone que j’ai eu envie de concevoir mes propres récits même si ces derniers n’avaient rien en commun avec la série de Jeff Smith. Ensuite j’ai découvert les bandes dessinées d’Evan Dorkin et d’auteurs comme Scott Morse et Jim Mahfood .

N - Vos récits ont été publiés pour la première fois en 1994 alors que vous aviez treize ans. Etait-ce dans un fanzine ?

Liz Prince - Mes bandes dessinées étaient publiées dans une revue locale de Santa Fe baptisée Are We There Yet ?. On m’a ensuite demandé de contribuer à plusieurs fanzines à travers le pays. Je ne me rappelle plus du nom de la plupart d’entre eux.
C’est en publiant mes dessins sur le site internet The Art Conspiracy que mon travail a finalement été l’objet d’une plus grande attention. J’ai établi des contacts avec Kaz Strzepek et Jamie S. Rich via le web. Internet est un excellent outil pour créer ce type de liens.

N - Est-ce que la publication de strips sur internet vous pousse à garder un certain rythme ? Vous écriviez en 2002 : « J’aime l’idée d’avoir un délai imparti d’une semaine pour dessiner un récit. Cela devrait lancer le moteur ».

Liz Prince - La satisfaction immédiate procurée par les réactions sur internet a été une très grande source de motivation. Mais je dois vraiment éprouver l’envie de dessiner une histoire pour m’y mettre. Rien ne m’énerve plus que l’explosion de journaux intimes dessinés sur le web dont la qualité est souvent médiocre. Le but de l’auteur est de dessiner une histoire par jour et si rien d’intéressant n’arrive ce jour-là, il dessinera un récit qui dira : « rien d’intéressant aujourd’hui ». C’est du temps perdu tant pour l’auteur que pour le lecteur. C’est la raison pour laquelle ma philosophie a toujours été de ne pas gaspiller ma sagesse « proverbiale » si je n’avais rien à raconter. En fait, plutôt que de répondre directement à votre question, je me justifie sur la raison pour laquelle il y a souvent des périodes creuses dans un planning de publication déjà irrégulier…

N - Vos strips sont publiés sur internet et en album chez Top Shelf (et Cà et Là en français) mais vous continuez à les autoéditer préalablement sous la forme de mini comix. Comme Kevin Huizenga ou John Porcellino , vous semblez vouloir poursuivre la conception de mini albums photocopiés pour le plaisir que procure ce type de production artisanale.

Liz Prince - C’est exact. J’adore aller chercher un paquet de mini comics fraîchement imprimés au magasin de photocopies. Le pliage et l’agrafage de livrets procurent aussi un sentiment incroyablement apaisant durant plusieurs heures.
Les bandes dessinées auto-publiées sont celles que j’achète avec le plus de plaisir lors des festivals. J’ai d’ailleurs fait l’acquisition lors du SPX (ndt : Small Press Expo) de l’année dernière d’un album dépliable en accordéon entièrement conçu avec une sérigraphie très élaborée. Il s’intitule The Gem Cave et il est à mes yeux l’un des albums les plus précieux de ma collection.

N - Vous signalez dans un entretien que vos études artistiques vous ont apportées avant tout des connaissances sur la conception et la fabrication de livres mais finalement assez peu sur le dessin en lui-même.

Liz Prince - En effet. Je me pose souvent des questions sur le choix de ce parcours car on peut envisager que mon dessin aurait évolué de manière naturelle pour arriver à mon style actuel même sans suivre de cours. Je n’ai pas encore obtenu mon diplôme mais j’ai assisté à mes derniers cours artistiques au printemps passé (2006). Depuis que ceux-ci ont cessé, j’ai le sentiment d’avoir produit mon travail le plus abouti. Je pense que mon expérience en Ecole des Beaux-Arts fut positive et utile mais je m’interroge encore sur le nombre de techniques que j’ai vraiment pu y découvrir.

N - Votre style graphique est très particulier car vous encrez directement, sans croquis préalable. Dans vos messages sur internet, vous utilisez souvent le terme « sketchy » (incomplet, flou) pour définir votre personnalité. Pourrait-on lier ce trait à votre style de dessin qui tient de l’ébauche (« sketch ») ?

Liz Prince - Ma personnalité a peu de choses à voir avec mon style de dessin. Cette façon de dessiner tient plus d’une faiblesse artistique…

N - Ce style fait aussi preuve d’une grande économie graphique. Pour Jeffrey Brown , il y a une nouvelle tendance d’illustrer le quotidien dans les bandes dessinées alternatives américaines. Igort , le responsable éditorial de Coconino Press, a qualifié ce mouvement d’anti-spectaculaire. Avez-vous aussi constaté cette nouvelle tendance ?

Liz Prince - Je suis d’accord avec cette idée qu’il existe aujourd’hui une vague « anti-spectaculaire ». Je pense qu’il y a quelque chose d’incroyablement réconfortant dans le fait de trouver du sens dans les instants les plus anodins de la vie. Des bandes dessinées comme les miennes, celles de Jeffrey et particulièrement celles de James Kochalka (même si je crois qu’il force parfois un peu le trait) comblent ce besoin. Je retrouve nombre de mes propres expériences dans des tranches de vie racontées dans des albums autobiographiques. Je crois que ce que mes lecteurs apprécient dans mon travail tient de cette familiarité, de cette capacité à s’identifier entièrement. Je reçois beaucoup de courriers dans lesquels mes lecteurs me signalent que mes récits leur rappellent des instants de leurs propres relations sentimentales auxquels ils n’ont parfois pas prêté attention mais qui rendaient en réalité le début de ces relations si spéciale. Ce que je veux dire ici c’est qu’une conversation à propos des orteils ne mérite sans doute pas d’être racontée dans un strip mais la relation qui se noue au sein du couple qui tient cette conversation mérite de l’être.

N - Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder les récits de l’intime ?

Liz Prince - Les récits autobiographiques me sont toujours apparus de manière très naturelle. Ce sont ceux que je prends le plus de plaisir à lire et à dessiner. J’ai une certaine tendance à l’indiscrétion. Si je m’intéresse à quelqu’un, je vais tenter d’en savoir le plus possible à son propos. Je pense que ma curiosité pour la vie privée des autres m’a poussé à croire que la mienne pourrait aussi les intéresser.

N - Quelles sont les bandes dessinées autobiographiques qui ont été importantes dans votre découverte de ce genre ?

Liz Prince - Les premiers albums autobiographiques que j’aie lus étaient ceux d’Evan Dorkin et Ariel Schrag . Ils ont eu une grande influence sur moi. Je me suis aperçue que je relisais tous les albums d’Ariel Schrag au moins une fois par an. Je suis frappée à chaque fois par la manière dont elle tente d’être honnête au point de mettre mal à l’aise. Cela me pousse à atteindre ce point de confiance en moi où je pourrais partager avec un inconnu mes secrets les plus intimes car je serais parvenue à me sentir moi-même à l’aise avec ces derniers.
Le travail de Jeffrey Brown a aussi façonné ma façon de concevoir des bandes dessinées. Il raconte des histoires exactement de la manière dont j’envisage les miennes dans ma tête. Nous partageons la même approche du rythme et des pauses. Sa narration et la mienne sont ainsi fort similaires. J’espère cependant garder une perspective assez différente pour ne pas avoir le sentiment de faire du « réchauffé » de son travail tout au long de ma carrière.

N - Jeffrey Brown travaille généralement avec un système de six cases égales dans ses albums (cfr Clumsy). Vous êtes plus libre dans votre approche du découpage. Pourquoi optez-vous pour un système plus « organique » ?

Liz Prince - J’aime les différentes possibilités narratives qu’offrent le contrôle du rythme, du découpage et de la taille des cases. Je considère que c’est l’une des propriétés les plus singulières du neuvième art. Je garde un système traditionnel de trois cases pour mes strips humoristiques mais si une histoire drôle ne tient pas dans ce format, elle mérite d’être développée plus longuement. Je ne me cantonne jamais à aucun « procédé ».

N - Je trouve votre travail sur des strips en trois cases très réussi (et particulièrement votre série intitulée Liz versus Liz dans laquelle vous discutez avec votre double). Dessinez-vous depuis longtemps ce type de récits humoristiques ? Quels auteurs vous ont influencée ?

Liz Prince - Je dessine des strips humoristiques en vue d’une gratification immédiate. Lorsque je trouve quelque chose drôle, je le transpose sans attendre sous la forme d’un petit strip. En fait, j’envisage à peu près tout en termes de bande dessinée ; mes souvenirs sont découpés en cases successives.
Ma série Liz Vs. Liz me permet de jouer avec des concepts au lieu d’écrire des strips autobiographiques plus classiques. Elle me permet de créer des situations et de présenter mes dialogues intérieurs avec dérision. De plus, si vous jettez un œil dans mes carnets, vous constaterez que je me dessine sans arrêt. Cette série est une façon assez drôle d’exprimer le fait que je ne sais rien dessiner d’autre que mon propre visage.
J’ignore si ces strips représentent la quintessence de mon travail dessiné mais ils en forment une bonne partie. Un recueil de près de 80 strips vient d’ailleurs d’être publié chez Cà et Là (ndt : Delayed Replays) et sortira bientôt chez Top Shelf aux Etats-Unis.
Sinon, je lis très peu de strips dans les journaux mais je cite toujours Calvin & Hobbes comme l’une de mes références majeures.

N - Se dessiner soi-même tient parfois du besoin de se donner une forme ou une place dans le monde qui nous entoure. Est-ce lié chez vous à un problème de confiance ?

Liz Prince - Je ne crois pas que mes impulsions compulsives à me dessiner moi-même tiennent d’un problème de confiance ou de place dans le monde environnant. Elles sont plutôt liées à cette conviction que l’on ne devrait écrire « qu’à propos de ce que l’on connaît » et je ne connais personne mieux que moi-même.

N - Vous vous dessinez inversée, avec la mèche partant de droite à gauche alors qu’en réalité elle part dans l’autre sens. Vous dessinez donc votre reflet. La « Liz » des strips a-t-elle d’autres différences avec celle qui la dessine ?

Liz Prince - La « Liz » des strips est la même que celle qui la dessine sauf que cette dernière a un nez plus délicat. Je me dessine en reflet car c’est la seule manière dont je me vois. Si je devais me dessiner avec ma mèche dans le bon sens, j’aurais le sentiment de dessiner avec la main gauche (main avec laquelle je me dessine d’ailleurs en train de dessiner !)

N - Ne craignez-vous pas que d’envisager « à peu près tout en termes de bande dessinée » pourrait à un moment devenir un frein dans le renouveau de votre approche, d’être coincée dans un seul type de format pour vos récits ?

Liz Prince - Non. Je ne peux imaginer un moyen plus parfait que d’envisager le monde au travers des verres colorés de la bande dessinée. Même si je voulais me détacher de cette habitude, j’en serais tout simplement incapable car elle fait partie intégrante de ma vie depuis toujours. Je crois au contraire que c’est elle qui m’a permis de connaître la reconnaissance dont je jouis actuellement.

N - Sur le site des éditions Cà et Là, on peut lire que vous travaillez sur un roman graphique consacré au décès d’un ami. Dans votre entretien pour le Newsarama , vous ne mentionnez pas ce projet. Cet album est-il encore à l’ordre du jour ?

Liz Prince - Ce projet est toujours d’actualité même s’il est en hiatus depuis près d’un an. J’espère pouvoir y revenir bientôt. J’ai dû interrompre mon travail sur cet album car mes émotions étaient encore trop vives. Il m’était très difficile d’écrire avec un regard objectif. Ce livre devrait être baptisé Two-Headed Boy . Je ne peux pas encore garantir que je parviendrai à le terminer mais je ressens dernièrement l’envie de m’y remettre.

N - Comptez-vous aborder cet album dans le même style graphique que vos œuvres précédentes ?

Liz Prince - La différence principale entre Two-Headed Boy et mes strips humoristiques tient de ce que je réalise un découpage préparatoire et des crayonnés pour mes récits plus longs, dont ceux qui ont été publiés dans la plupart des anthologies auxquelles j’ai participé. Mes strips pour Delayed Replays et mes histoires courtes pour Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit? sont directement encrées sans crayonnés. C’est la raison pour laquelle elles paraissent plus « inachevées ».

N - Votre sélection de récits pour Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit? a-t-elle été compliquée ?

Liz Prince - Je vous répondrai que ce fut facile car tous les strips que j’ai dessinés sur ce thème ont été publiés dans l’album. Jusqu'à présent, mon mode d’opération consiste à atteindre un nombre assez élevé de pages et je me retrouve toujours à la limite de ne pas en avoir assez. J’en arrive à tout mettre par défaut.

N - Est-ce que l’avis de votre compagnon a une importance dans le rendu de certains aspects de votre intimité ?

Liz Prince - Bien entendu. Lorsque Kevin et moi étions ensemble et que je dessinais Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit?, j’étais sensible à ce qu’il ne voudrait peut-être pas rendre public. Dessiner le récit pour l’anthologie True Porn 2 fut particulièrement difficile à cause de la nature de l’histoire. Kevin a posé son veto sur quatre de mes idées avant d’accepter que j’utilise une planche à propos d’un appel téléphonique « érotique ».

N - Sur l’entête de votre blog, on peut lire : « There’s no Liz, only Zuul ». D’où vient cette phrase ?

Liz Prince - C’est une référence à Ghostbusters, l’un de mes films favoris depuis toujours. La réplique du film est prononcée par le personnage de Sigourney Weaver lorsque qu’il est possédé par le démon Zuul. Dr. Venkman tente de parler à Dana mais Zuul répond : « There is no Dana, only Zuul ».
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Entretien réalisé par courrier électronique en mai 2007. Copyright Nicolas Verstappen & Liz Prince.

dimanche, juin 10, 2007

Chroniques: juin 2007

Voici deux chroniques que j'ai écrites pour la revue WhiteNight.

© 2007 Employé du Moi - Cà et Là

Max de Frankenstein
Je connais un savant fou dont l'apparence ne laisse aucunement présager qu'il le soit. Son cerveau est pourtant capable de réaliser le plus incroyable des défis de la science: donner la vie à des corps faits d'encre et de papier. Max de Frankenstein est capable d'insuffler une étincelle d'humanité au coeur de ses créatures. Mais qu'on ne se méprenne pas ici non plus; ces dernières n'ont rien en commun avec l'effrayante créature de Mary Shelley. Elles sont en tout point semblables à nous. Le secret de cet achèvement tient de ce que Max de Frankenstein ne vit pas retiré dans un laboratoire obscur. Il observe tout simplement ses contemporains depuis la terrasse d'un café.
Sa créature la plus aboutie à ce jour se nomme Antti. Ce dernier est un jeune finlandais en stage à Bruxelles qui découvrira les divers visages de la Capitale dont l'un occupera bientôt le centre de toutes ses pensées. Ce visage est celui d'une jeune femme nommée Juliette. A défaut d'être un Roméo, Antti tentera de déceler chez elle les signes d'un sentiment amoureux envers lui. Ces instants de doute sont le signe que Max de Frankenstein a parfaitement accompli son oeuvre. Car c'est le but de tous les savants fous de voir leurs créatures s'interroger sur elles-mêmes. Et rarement personnage n'aura semblé si vivant! "

Antti Brysselissä de Max de Radiguès à l'Employé du Moi



Le Cap - Santa Fe
Karlien de Villiers est née en Afrique du Sud en 1975. Liz Prince est née aux Etats-Unis en 1982. Elles sont toutes deux dessinatrices. La première évoque la relation conflictuelle qui la liait à sa mère aujourd’hui décédée, la seconde dévoile avec humour des fragments de son intimité. Toutes deux partagent en réalité avec nous bien plus que cela. En nous décrivant l’éclatement de sa famille, Karlien de Villiers dresse le portrait d’une Afrique du Sud blanche en crise. Elle tente de comprendre la profonde souffrance qui rongeait sa mère et celle qui consumait son pays. Car si la maladie de sa mère fut insidieuse, l’apartheid le fut tout autant.
Depuis le Massachusetts, Liz Prince parle d’elle mais elle parle à chacun. Ses strips ne consistent souvent qu’en une réplique, un trait d’esprit ou un détail apparemment insignifiant mais leur succession invite au dialogue. Une conversation s’installe progressivement entre elle et le lecteur. On rajoute nos anecdotes aux siennes et bientôt on se retrouve à parler de soi. On se livre à une inconnue qui sera devenue une amie avant d’avoir tourné la dernière page.
En réunissant Karlien de Villiers et Liz Prince au sein de leur jeune catalogue, les éditions Cà et Là nous proposent de découvrir trois très beaux ouvrages où chaque planche se lit avant tout comme une carte du monde.

Ma mère était une très belle femme de Karlien de Villiers - Tu m'aimeras encore si je fais pipi au lit et Delayed Replays de Liz Prince aux éditions Cà et Là

mercredi, juin 06, 2007

Madhappys !

© MadHappys Comix

Le mensuel alternatif américain Madhappys désire publier des auteurs européens dans ses pages. Vous pouvez jetter un oeil sur les quinze premiers numéros de ce fanzine gratuit en cliquant sur le lien suivant: MADHAPPYS. Pour leur envoyer des planches: Submissions.
Steven Spielberg ou Peter Jackson pourraient bien tomber sur vos dessins et se lancer dans un projet d'adaptation ...
P.S.: quand vous serez devenu riche grâce aux royalties, n'oubliez pas votre serviteur!

mercredi, mai 23, 2007

Séance de dédicaces: 02 juin 2007

Marshall Joe, Dampremy Jack ("Dérapage Comix #1" chez Warum), Max de Radiguès ("Antti Brysselissä" à L'employé du Moi), David Libens & Philippe Vanderheyden ("Les Dunes" à l'employé du Moi) seront présents à la Bulle d'Or ce samedi 02 juin pour une séance de dédicaces (124 bd Anspach, B-1000 Bruxelles).


Antti Brysselissä: "Antti, un jeune Finlandais, débarque à Bruxelles pour effectuer un stage dans une boîte de pub. Il doit trouver ses marques dans cette ville étrange, se faire une place parmi ses colocataires et ses deux jolies voisines. Entre les soirées arrosées et sa découverte de la ville, une intrigue amoureuse se tisse. Mia tourne autour du nouvel arrivant alors que la fascinante Juliette apparaît bien inaccessible, apparemment..." Un superbe récit sur le trouble amoureux rendu avec justesse et subtilité!

Site: Max de Radiguès

Dérapage Comix #1: "Premier opus de ce fabuleux magazine entièrement rempli par les deux plus fameux bédéistes de l’ouest sauvage, le vrai, DERAPAGE COMIX donne la quintessence du rêve américain : violence, argent, réflexion philosophique et bonnes gonzesses parsème ce chef d’œuvre du 9ème Art tout en proposant des jeux, des petites annonces et des conseils pratiques à l’usage de la ménagère de moins de cinquante ans". Un must de l'humour décalé!

Site: Dérapage Comix

Les Dunes: "Depuis le décès de sa mère, Eric s’est replié sur lui-même et a volontairement coupé les ponts avec ses proches. Sa vie, rythmée par un boulot alimentaire, est figée dans le passé. Son entourage s’inquiète de son mutisme et essaye de renouer le contact. Eric prend alors conscience qu’il est temps de vivre au présent et de retrouver le goût des autres".

Site: Employé du Moi

samedi, mai 19, 2007

Paroles de libraire (II) : Responsable?


Un Objet Culturel Non-Identifié de Thierry Groensteen aux éditions de l’An 2

Je lis malheureusement trop peu d’ouvrages consacrés à l’analyse de la Bande Dessinée. J’ai cependant trouvé le temps, à l’occasion d’un congé, de me plonger dans un livre paru en début d’année et qui tente de répondre à de nombreuses questions sur la place du Neuvième Art dans le paysage culturel actuel. Cet essai de Thierry Groensteen est d’un grand intérêt et je conseille vivement sa lecture à tous ceux qui aimeraient comprendre comment cette forme d’expression a été considérée (ou déconsidérée) pendant plus d’un siècle d’existence. L’auteur aborde de manière claire de nombreux aspects de ce parcours « fait d’anomalies ». Il y dévoile les raisons pour lesquelles la Bande Dessinée peine encore à porter son titre de « Neuvième Art ». Qu’il s’agisse de la responsabilité des éditeurs, de l’Etat ou des « handicaps » supposés du médium, Thierry Groensteen développe à chaque fois un argumentaire pertinent et éclairé sur la pénible légitimation de cet art. Son livre apporte une lumière neuve sur la manière d’envisager l’avenir (relativement sombre) de ce secteur culturel encore « non-identifié ».
J’ai cependant tenu à réagir sur certains points de cet ouvrage. Je considère en effet que le rôle des libraires a été négligé dans le constat dressé par l'auteur et que le « péril manga » ne me semble pas aussi imminent qu’annoncé (en Belgique du moins).
J’aurais voulu développer de manière plus approfondie mon argumentaire mais je manque, hélas, de temps. Je vous livre donc ici quelques unes de mes remarques comme elles me sont venues. J’espère que vous serez nombreux à réagir, que vous soyez libraires, éditeurs, auteurs ou lecteurs. Vos réactions peuvent être postées ici : goldenchronicles@yahoo.fr.


1. LE RÔLE DES LIBRAIRES

1.1 Curiosité & diversité
Ce qui m'a surpris avant tout dans l'ouvrage de Thierry Groensteen, c'est de découvrir qu'il ne consacre aucun chapitre à l'impact négatif ou positif que les librairies « spécialisées » en bande dessinée peuvent avoir sur l'acceptation de ce médium en tant que forme d'expression artistique. L'auteur centre sa réflexion sur les éditeurs, les créateurs et les critiques de bandes dessinées. Il me semble pourtant (et je manque peut-être de recul étant libraire) que les librairies spécialisées restent des vitrines majeures de ce médium. Bien entendu, et comme le signale Thierry Groensteen, le Festival d’Angoulême, certaines expositions et quelques revues sont aussi des espaces importants pour la représentation du Neuvième Art. Je les définirais cependant comme étant « ponctuels ». Je pense que les librairies réalisent un travail plus proche de la course de fonds, moins « spectaculaire » que de grands événements couverts médiatiquement. Après l’annonce du palmarès d’Angoulême, ce sont les libraires qui prennent le relais. A la mi-avril, soit trois mois après la clôture du Festival, la librairie où je travaille présentait toujours l’ensemble des lauréats. Trois mois durant lesquels les clients peuvent découvrir les albums primés, feuilleter les ouvrages, y avoir tout simplement accès. Trois mois aussi durant lesquels le libraire répondra aux questions, donnera son avis, défendra (ou non) certains choix du jury. Cette édition du Festival aura d’ailleurs été emblématique à cet égard. J’ai pu observer dans ma librairie que de nombreux clients étaient sceptiques quant aux choix du jury présidé par Lewis Trondheim – qui couronnait un manga en meilleur album ainsi que des ouvrages publiés par des éditeurs alternatifs. Il est vrai qu’une partie de notre clientèle a des goûts relativement « classiques » ou « grand public » (et loin de moi l’idée d’utiliser ces termes de manière péjorative) et j’ai le sentiment qu’elle ne se retrouvait pas dans cette sélection. Le rôle du libraire devient primordial à cet instant où sa voix comptera peut-être autant que celle d’un jury. Un libraire « spécialisé », c’est aussi quelqu’un qui a su tisser une relation de proximité et de confiance avec ses clients. Certains de ceux-ci passent en effet tous les mois, tous les quinze jours voire toutes les semaines. Le libraire se fera progressivement une idée des goûts de la plupart d’entre eux et pourra les aiguiller en fonction. Mais même si quelques clients font confiance à certains de mes jugements, ils ne se jetteront pas pour autant sur l’album révélation du Festival (à savoir le Panier de Singe de Ruppert & Mulot). Pour emmener les lecteurs sur des territoires différents et des sentiers « alternatifs », il faut beaucoup de temps et ce temps ne se développe qu’au sein d’une relation du libraire avec le client. Bien sûr, il existe des événements ponctuels comme le phénomène « Libé ». Si le journal « Libération » publie du Riad Sattouf ou parle du Chat du Rabbin ou de Persepolis, on peut être certain que de nombreux Parisiens en vacances à Bruxelles se jetteront sur les albums de ces auteurs dans la semaine qui suit (les ventes passent du simple au double). Mais ce phénomène tient plus de l’effet de mode que du développement d’une forme de curiosité. Et défendre la culture, c’est avant tout se battre pour cette curiosité et proposer la diversité, seules échappatoires à l’asphyxie du médium. Dans ce domaine, le libraire peut (et doit) se battre sur le front. Pour expliciter mon propos, je parlerai ici du dernier album que j’ai tenté de défendre de mon mieux. Là où vont nos pères de Shaun Tan est certes publié chez Dargaud, il fut pourtant loin d’attirer l’attention de nos clients. Un album « muet », aux aspects poétiques et d’un auteur de surcroît inconnu démarre avec de nombreux « handicaps ». Prouver que l’absence de texte ne signifie pas que cet album sera « vite lu » mais qu’il s’agit d’une approche narrative totalement maîtrisée et ouverte à l’interprétation, à l’émotion et à l’universalité ne fut pas une mince affaire. Une fois présenté comme un « coup de cœur » de l’équipe, défendu par chacun des employés de la librairie, chroniqué dans la newsletter et accompagné d’un entretien avec l’auteur, cet album obtient enfin le succès qu’il mérite. Le libraire peut participer au développement d’une acceptation du médium comme une forme d’expression artistique en invitant ses clients vers ce genre d’ouvrage, vers des œuvres différentes et exigeantes. Bien entendu cela implique que le libraire ait le temps de mettre en place une telle « campagne promotionnelle » et la surproduction actuelle lui en laisse peu. Mais je reviendrai sur ce point plus tard car je rajouterai encore une chose sur la notion d’œuvres « exigeantes ». On peut se battre pour des ouvrages « muets », des livres alternatifs comme Attends… de Jason ou Daddy’s Girl de Debbie Drechsler, des albums expérimentaux comme Entre-Deux de Vincent Perriot ou les 676 apparitions de Killoffer, mais il ne faudrait pas oublier des bandes dessinées publiées par les « gros » éditeurs et qui sont dignes d’être défendues de la même manière. Je défends aussi des séries comme Le Feul de Gaudin et Peynet chez Soleil. Il me semble en effet important de présenter aux lecteurs d’Heroïc Fantasy des albums qui dépassent, détournent ou maîtrisent parfaitement les codes du genre. C’est au sein de tous les types de public qu’il faut éveiller cette curiosité, qu’il faut donner envie de découvrir ce qui se fait de mieux dans chaque genre sans s’arrêter sur des questions de bandes dessinées « grand public » ou « alternatives ». Il faut profiter de la sortie d’une adaptation de V pour Vendetta pour placer ce chef d’œuvre du Neuvième Art entre les mains d’un lectorat qui n’y aurait jamais prêté attention. Il faut montrer par là toute la richesse et la profondeur qu’on peut atteindre dans les « thrillers » dessinés. Et espérer qu’au travers de cette œuvre, les lecteurs désireront découvrir les autres créations d’Alan Moore et de David Lloyd (même si les chefs d’œuvre de ce dernier ne sont toujours pas réédités ou traduits en français).
C’est à des libraires que je dois certaines de mes plus belles rencontres avec des œuvres majeures du Neuvième Art. Thierry Joor proposait dans sa librairie « Sans Titre » (avant de travailler pour Delcourt) un rayon « coup de cœur » très impressionnant qui m’a permis de découvrir La Guerre des Tranchées de Tardi. Hassan de la librairie « Utopia » m’a convaincu d’acheter V pour Vendetta. Bernard (pour qui je travaille aujourd’hui) a placé La Révolte d’Hop-Frog entre les mains et je suis depuis avec attention tous les travaux de Christophe Blain.

1.2 Mais il y a le temps et l’espace
Mais on manque de temps. Il y a de plus en plus de sorties et à peine est-on parvenu à placer toutes les nouveautés sur la table qu’il faut déjà renvoyer à l’éditeur celles qu’on a retirées. Le libraire n’a presque plus l’occasion de défendre des albums, d’écrire des chroniques. Et ses clients n’ont pourtant jamais eu autant besoin d’être conseillé face à cette masse de sorties. Le nombre de demandes d’informations augmente d’ailleurs régulièrement.
L’espace manque lui aussi. L’augmentation des sorties demande au libraire une réorganisation constante de ses tables de nouveautés et de son fond. Les choix sont complexes et l’on est vite tenté de supprimer des collections qui tournent moins. Thierry Groensteen écrit d’ailleurs à ce propos : « [La bande dessinée alternative] est,[…], fort peu défendue par la majorité des quelque 175 librairies françaises dites " spécialisées", lesquelles (confrontées au phénomène de la surproduction, qui entraîne un manque de place, une réduction du fonds et une rotation des nouveautés de plus en plus rapide) privilégient outrageusement les gros éditeurs et les séries supposées les plus faciles à vendre » (p.94-95). Mais j’ose croire que de nombreux libraires conservent les titres qu’ils apprécient. Car être libraire est avant tout une passion. C’est un métier physiquement lourd (que ceux qui ne me croient pas viennent porter nos caisses d’albums chaque semaine) et duquel on ne peut pas attendre des profits exceptionnels. Nous avons cette passion et parfois nous sommes à deux doigts de la perdre. Certains abandonnent face au profond changement que subit cette profession, les autres entrent « en résistance ». Le libraire se doit d’être plus « spécialisé » que jamais. Il doit être un filtre, il doit se fixer une « ligne éditoriale » plus stricte. Car il est possible aujourd’hui de pousser des ouvrages de qualité et de les placer autant que des « séries supposées faciles à vendre ». Comme je l’ai signalé plus haut, les lecteurs attendent de nous qu’on leur rende ce service aujourd’hui plus que jamais.


2. LE PERIL MANGA

Thierry Groensteen fait remarquer que « […] le public peu averti porte un jugement indifférencié et, partant, injuste sur les mangas quand il les méprise ou les condamne en bloc […]» (p.95). C’est au libraire aussi de savoir convaincre ses clients que le manga n’a pas à être jugé de la sorte. Et pourtant, je me souviens très bien de ce commentaire qui était apposé sur la couverture du dernier tome (de l’ancienne édition) du Journal de mon Père de Taniguchi chez un collègue il y a sept ans. La chronique débutait par « Ceci n’est pas un manga […] » et concluait par «[…]on est bien loin des "japoniaiseries " ». Ce terme de "japoniaiserie " m’aura profondément marqué car le manga représentait pour moi un incroyable espace d’évasion avec lequel la bande dessinée franco-belge ne parvenait pas souvent à rivaliser. Ce terme était d’autant plus injuste que l’on publiait déjà à l’époque des albums tels qu’ Akira et Rêves d’Enfants de Katsuhiro Otomo,L’Histoire des Trois Adolf d’Osamu Tezuka, Dispersion d’Oda, Dragon Head de Minetaro Mochizuki, Stratège d’Hideki Mori et Kenichi Sakemi, Blame de Tsutumu Nihei, Amer Béton de Taiyo Matsumoto, Hiroshima de Tatsumi ou même les premiers tomes de la série Dragon Ball qui avait à ses débuts de nombreuses qualités.
Les libraires ont un rôle important à jouer sur ce terrain. Ils ont le pouvoir de pousser Taniguchi, de dire aussi que tous les Taniguchi ne sont pas des chefs d’œuvre (comme de nombreux éditeurs tentent de nous le faire croire), de montrer qu’il n’y a pas que Taniguchi et que la collection Ecritures n’est pas le seul fief de le bande dessinée japonaise de qualité.

2.1 Observations
Thierry Groensteen s’inquiète de « […] l’absence de retenue avec laquelle les éditeurs multiplient les achats au Japon et développent leurs collections spécialisées, sans paraître prendre garde au risque qu’ils prennent de mettre en péril la bande dessinée de création française – laquelle commence à présenter des signes inquiétants de désaffection » (p. 92).
Je suis d’accord avec lui sur un point. Il y a « absence de retenue ». On publie aujourd’hui tout et n’importe quoi (mais encore trop peu de classiques nippons). A mon sens, cette situation de production indifférenciée ne va pas jouer longtemps en faveur de la bande dessinée japonaise. Car si de nombreux lecteurs sont déçus par l’offre actuelle de titres franco-belges, un grand nombre aussi n’en peut déjà plus des séries nippones qui semblent sans fin. 20th Century Boy est l’exemple même de la série qui a surfé sur le succès de Monster (du même auteur) et que de nombreux clients abandonnent en cours de route tant la conclusion de cette saga semble sans cesse reportée. Mais je dois ici faire un aparté car je distingue trois types de clients dans ceux qui achètent des mangas. Il y a les clients de plus de 30 ans qui ont généralement découvert le manga sur le tard (avec Taniguchi), ceux qui ont entre 20 et 30 ans et qui connaissent le manga grâce à Akira ou par le Club Dorothée et ceux qui ont moins de 20 ans et qui n’achètent quasi que des mangas (c’est la « génération Naruto »). Je vais développer et me permettre quelques généralités. Je vais donc vous faire part ici de quelques-unes des observations que j’ai faite au sein de la librairie où je travaille.

a) La génération « Taniguchi »
Les lecteurs de plus de trente ans, qui n’ont pas grandi avec le Club Dorothée, ont une certaine réticence à « oser » le manga à cause de nombreux a priori. Ils éprouvent aussi une certaine difficulté à intégrer les codes du manga auxquels ils ont rarement été exposés. Certains ont « osé » les œuvres de Taniguchi car il était souvent présenté comme le plus européen des auteurs japonais. En dehors de cet auteur, ils ne s’autorisent que rarement à découvrir autre chose tant celui-ci a été présenté comme une exception par les critiques et certains éditeurs. S’il est vrai que Taniguchi a produit une œuvre très personnelle, d’autres que lui ont produit des ouvrages sensibles et matures. Ils lisent un peu d’Osamu Tezuka et des albums qui ont une certaine aura comme L’Homme sans Talent ou NoNônba (car ce dernier a été élu meilleur album à Angoulême). D’autres préfèrent ne pas se lancer du tout dans l’aventure car c’est « trop laid » (le libraire doit donc être là pour prouver le contraire).
Si il y a « désistement » pour les lecteurs de plus de trente ans de la bande dessinée franco-belge, ce n’est pas pour passer au manga mais pour des raisons économiques et qualitatives. Face au niveau relativement moyen de la bande dessinée franco-belge et au peu de critiques qui se donnent la peine d’aiguiller les lecteurs vers des œuvres de qualité, ils préfèrent ne plus acheter de nouveaux titres. Ils se tournent par contre de plus en plus vers les classiques des années soixante, septante et quatre-vingt. Les ventes de Franquin, Macherot, Tillieux, Will sont en effet en augmentation. Ces lecteurs ont la certitude que ces rééditions ne les décevront pas, en plus de satisfaire leur nostalgie.
La bande dessinée franco-belge est par ailleurs relativement coûteuse ; elle devient en fait un véritable produit de luxe. Le coût de la vie ne cessant de croître, les clients diminuent tout simplement leur quantité d’achats de bandes dessinées.
b) La génération « Akira »
Avec le Club Dorothée et la sortie du film Akira dans la foulée, une génération entière a été initiée aux codes du manga. Face aux critiques des parents et des enseignants et face au sentiment d’avoir trouvé un univers entièrement neuf et une culture qui lui serait propre, cette génération –dont je fais partie- s’est approprié le manga comme étant son territoire. Pour parler de mon expérience, le manga fut, avec le jeu de rôle, une véritable révolution durant mon adolescence. Le sentiment d’appartenance à un groupe en marge y était pour beaucoup. Nous partions entre amis jusque chez "Schlirf Book" (librairie bruxelloise) pour nous procurer des mangas en japonais auxquels nous ne comprenions rien mais qui nous donnaient le sentiment d’être en amont d’un bouleversement à venir. Nous assistions à toutes les projections confidentielles des « Nuits de l’Anime » (dans la petite salle des Riches-Claires) et nous ne jurions plus que par la production nippone. Ou presque. Car aucun d’entre nous n’a gardé un goût exclusif pour le manga et, à la sortie de l’adolescence, nous avons tous entamé des collections franco-belges et américaines. Aussi surprenant que cela puisse paraître pour certains, notre immersion totale dans la production japonaise ne nous a pas empêchés d’apprécier d’autres styles. Kogaratsu fut pour moi un déclencheur car j’y trouvais un Japon que même les mangas ne semblaient vouloir décrire. Il y avait là un Japon historique, réaliste, somptueusement dessiné et en couleurs. Kogaratsu fut une série qui répondit à des attentes que le manga ne comblait pas. La bande dessinée franco-belge m’apportait ainsi une complémentarité. Ainsi le premier Sambre d’Yslaire et Balac, au travers de son ambiance graphique et de sa narration plus littéraire, satisfaisait mon goût pour le romantisme d’une toute autre manière que les premiers albums de Masakazu Katsura (Video Girl Aï). Puis il y eut Soda, The Dark Knight Returns, Batman : Arkham Azylum, SOS Bonheur, V pour Vendetta, La Révolte d’Hop-Frog, L’Association… Pour en revenir au propos initial, la génération « Akira » achète toujours des mangas mais elle lit aussi beaucoup de bandes dessinées franco-belges. Avec la récente explosion des mangas, elle a tendance à s’essayer à un plus grand nombre de nouvelles séries japonaises. J’observe que ces clients ont été, après ces deux dernières années d’intense production, moyennement convaincus par ces nouveaux titres. Ce phénomène est sans doute déjà lié à la nostalgie, au fait qu’ils comprennent assez peu l’engouement énorme dont bénéficient des titres qui n’ont rien de plus exceptionnel qu’Akira, Gunnm ou City Hunter. J’ai donc le sentiment que cette génération « revient » déjà de cette « mangamania ».
Si il y a « désistement », c’est dû à nouveau en grande partie à des facteurs économiques et à la médiocrité de nombreux titres franco-belges. La perte de qualité sur des séries à rallonge tant européennes que japonaises pousse ces lecteurs à prendre leur distance face au médium.
c) La génération « Naruto »
C’est elle qui achète le plus de mangas et ce de manière quasi exclusive. Sa grande particularité est d’être composée d’un très grand nombre de lectrices (ce qui n’était pas le cas des générations précédentes). Le formidable pouvoir d’achat de cette génération attire tous les secteurs du divertissement, celui de la bande dessinée en tête. Tout ce que l’on peut trouver comme « shônen » ou « shôjo manga » au Japon est presque immédiatement traduit par les éditeurs français. Mais ces adolescents et ces adolescentes seront bientôt adultes. La question est alors de savoir si leur intérêt pour les mangas survivra à ce passage à la maturité. Ou bien cette génération sera-t-elle comme la mienne ? Aura-t-elle besoin comme nous de découvrir autre chose? Se tournera-t-elle vers la bande dessinée franco-belge ?

2.2 On en reviendra si…
Pour tenter de répondre à cette question, je dois donc répondre à une autre. Pourquoi ma génération est-elle revenue vers la production « nationale » ? La réponse est en fait relativement simple. Notre dénominateur est d’avoir tous lu de la bande dessinée franco-belge ou américaine avant notre adolescence. En discutant du projet de ce texte avec des amis, ceux-ci m’ont confirmé que c’est en voulant retrouver la saveur si particulière de l’école belge et américaine qu’ils avaient découverte enfants dans les pages du Journal de Spirou, du Journal de Tintin et des Strange que leur intérêt s’est à nouveau porté vers cette production. Il faudrait alors savoir si les jeunes de moins de douze ans lisent des albums franco-belges, s’ils sont toujours en contact avec cette production au travers de revues et d’albums.
Je tiens à le dire ici : je n’ai pas de chiffres. Une étude sur ce sujet serait donc la bienvenue. A nouveau, je vais me baser sur mes observations. J’ai travaillé cette année sur le stand des éditions Dupuis à la Foire du Livre de Bruxelles. Les ventes des titres « grand public » étaient en nette croissance par rapport aux années précédentes. Nous avons assisté à un véritable engouement des jeunes lecteurs pour des titres comme Zarla, Les Nombrils, Nelson ou encore Parker et Badger (grâce aux parutions dans le Journal de Spirou). Ces séries de la collection « Tous Publics » étaient au centre de toutes les conversations des groupes de jeunes (filles et garçons) qui défilaient dans le stand. Certains jeunes adolescents montraient une grande connaissance des titres de la collection Repérages. L’un d’eux (qui devait avoir treize ans) corrigeait d’ailleurs l’erreur d’un de ses amis en lui expliquant la différence entre L’Epervier (paru chez Dupuis) et Les Sept Vies de l’Epervier (parus chez Glénat). Ces quelques jours passés à la Foire du Livre m’auront rassuré sur l’avenir de la bande dessinée franco-belge. Il existe encore bel et bien un intérêt pour cette production auprès des plus jeunes. Je dois ici saluer l’excellent travail de Dupuis qui poursuit une politique éditoriale relativement « saine ». En publiant des séries comme Seuls de Vehlmann et Gazzotti ou Zarla de Guilhem et Janssens, cet éditeur offre une alternative aux mangas pour ces jeunes lecteurs. Ces œuvres sont loin d’être niaises et marqueront leur lectorat. Ce travail éditorial se poursuit dans la création des collections « Puceron » (pour des lecteurs à partir de trois ans) et « Punaise » (pour des lecteurs à partir de six et sept ans). Les éditions Delcourt proposent elles aussi une riche collection jeunesse (avec notamment Petit Vampire et Le Vent dans les Saules) sans oublier les Epatantes Aventures de Jules parues chez Dargaud. Et l’on peut toujours critiquer Lanfeust de Troy, ce titre aura été néanmoins d’une grande importance pour l’entrée de jeunes adolescents dans l’univers du franco-belge.
Je me sens donc relativement optimiste mais à condition que les éditeurs poursuivent ce travail de publication pour les enfants et que les libraires poussent ces titres dans leurs boutiques. Initier les moins de douze ans à la bande dessinée franco-belge est pour moi le défi majeur de nos éditeurs aujourd’hui si l’on veut que le spectre du « péril manga » ne se matérialise pas.

2.3 Remarques diverses
2.3.1 Le constat que je viens de dresser s'applique à la Belgique. J'ignore s'il s'applique à la France car notre rapport à la bande dessinée me semble quelque peu différent.
2.3.2 Je tenais à signaler aussi que cette « absence de retenue » dans la production des mangas aura apporté au moins deux effets positifs.Sans cette incroyable explosion des ventes de mangas, les éditeurs alternatifs n’auraient probablement pas osé la traduction d’œuvres comme celles de Shigeru Mizuki ou Shin’ichi Abe. Nous n’aurions sans doute pas non plus découvert aussi tôt des chefs d’œuvre de la Bande Dessinée coréenne. Le second aspect tient de la nouvelle approche narrative qu’offrent les mangas. David Lloyd me confiait sa crainte de voir les mangas anéantir progressivement les « styles » américains et franco-belges pour les remplacer par les codes graphiques de la bande dessinée japonaise. Bien entendu, de plus en plus d’auteurs qui ont grandi avec les mangas s’en inspirent dans leurs albums. Cette « insémination » de style est parfois malheureuse mais elle devrait, à plus ou moins long terme, enrichir le vocabulaire de la Bande Dessinée. Shaun Tan et Kevin Huizenga sont par exemple deux auteurs qui reconnaissent avoir découvert une nouvelle approche de la temporalité dans la bande dessinée nippone (voir à ce propos le chapitre trois de l’Understanding Comics de Scott McCloud).
2.3.3 Thierry Groensteen signale que « si nombre d’éditions françaises conservent le sens de lecture original, inverse du nôtre, c’est bien pour que le livre apparaisse comme un objet "encore plus cryptique, pour initiés"» (p.94). Je considère que si certains éditeurs ont peut-être cette idée en tête, les mangas n’ont pas à être inversés pour satisfaire nos habitudes de lecture. Je ne pense pas non plus que les éditions Cornélius conservent le sens de lecture original pour faire plaisir aux initiés. Il s’agit pour moi d’un respect de l’œuvre et de la manière dont l’auteur l’a conçue. Nous ne devons pas plier les œuvres étrangères à nos attentes d’Occidentaux mais plutôt faire de chaque lecteur un « initié », ouvrir notre regard à une autre forme de lecture.
2.3.4 Thierry Groensteen signale aussi que l’un des facteurs de développement du manga tient de ce que « le coût des mangas est moins élevé que celui des albums classiques, ce qui les met plus à la portée des jeunes ne disposant que d’un pouvoir d’achat limité » (p.91). Je suis bien d’accord avec lui mais j’ignore si ce phénomène sera encore vrai bien longtemps. Il y a quinze ans, j’achetais mes mangas au prix de 120 francs belges (soit 3 euros) et les prix ont depuis doublés voire triplés. Si cette tendance se confirme, le manga ne sera bientôt plus aussi abordable.
2.3.5 Les lectrices font preuve d'une plus grande ouverture. Elles ne se cantonnent à aucun style, aucun genre, aucun type de production. Elles s'attachent avant tout à la sensibilité des récits et ne s'arrêtent pas à l'origine de ces derniers. Il n'y a pas chez elles de forme d'exclusivité qui les pousserait à ne lire que des mangas. Elles envisagent les bandes dessinées nippones et franco-belges comme étant complémentaires. Il est regrettable qu'elles soient encore si peu nombreuses à acheter des bandes dessinées (comme le faisait si bien remarquer Thierry Groensteen dans son ouvrage).


3. LE PERIL INTERNET

Ce qui me semble plus inquiétant aujourd’hui n’est pas la progression du manga mais bien de la lecture de bandes dessinées sur internet. Je ne pouvais croire il y a quelques années que des séries entières se liraient un jour sur la toile. De nombreux clients de moins de vingt ans nous ont en effet signalé qu’ils n’achetaient pas le manga « phénomène » du moment (à savoir DeathNote chez Kana) car ils avaient déjà eu l’occasion de lire les douze tomes traduits en français sur internet (alors que Kana n’en a sorti que trois jusqu’à présent). Il est à craindre qu’il y ait progressivement une « désaffection » de la lecture sur papier. Il faut en effet envisager que la nouvelle génération d’internautes ait plus de familiarité avec leur écran qu’avec le livre. Là aussi il serait intéressant de s’attarder sur l’avenir du « livre » et du « livre-objet » si l’on veut pouvoir réagir face à ce phénomène.


4. POUR INFORMATION

Thierry Groensteen évoque l’émission de télévision diffusée en avril 2005 sur France 2 du « plus grand Français de tous les temps ». Il écrit : « on se permettra d’observer que si, dans ce palmarès imbécile, les chanteurs font jeu égal avec les écrivains, et même un peu mieux (…), on y chercherait vainement, en revanche, le nom d’un auteur de science-fiction, de polar ou… de bande dessinée » (p.9).
Si le palmarès n’était pas forcément moins imbécile en Belgique, l’émission « Les Plus Grands des Belges » de la chaîne publique (RTBF) a donné les résultats suivants : Hergé arrive en huitième position, André Franquin à la dix-huitième place, Philippe Geluck à la vingt-deuxième, Peyo à la trente-troisième, Morris à la septante-neuvième, Pierre Kroll (dessinateur de presse) à la nonante-quatrième et Jean Roba à la centième. Jacques Brel était à la première place.
Du côté flamand (émission « De Grootste Belg » sur la VRT), Hergé est en vingt-quatrième position, Willy Vandersteen (Bob et Bobette) à la vingt-neuvième et Marc Sleen (Néron) à la quarante-huitième. Le Père Damien était à la première place.
La Belgique a en effet un autre rapport à la bande dessinée puisqu’elle y reste une institution (dans le cœur de la population en tout cas, sans doute moins dans celui de nos politiques).


5. REACTIONS
Vos réactions sont les bienvenues à l’adresse suivante : goldenchronicles@yahoo.fr. Je les publierai à la suite de ce post.


1. Réponse de Thierry Groensteen (par mail)

Merci de m’avoir lu aussi attentivement et d’avoir pris le temps de coucher vos réflexions par écrit. Vous avez sans doute raison, il manque à mon O.C.N.I. un développement sur les librairies. Le problème est que, pour le faire convenablement, il faudrait mener une enquête de terrain dont je n’ai pas les moyens. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il y a de bons (vous en faites partie) et de mauvais libraires, qu’ils n’ont pas tous la même superficie, la même politique commerciale, la même clientèle, etc. Les généralités me semblent sans intérêt, et je ne disposais pas de données suffisamment précises pour dresser un état des lieux de la librairie spécialisée. J’ajoute que, tant qu’à faire, il aurait aussi fallu parler de la place de la bande dessinée dans les bibliothèques publiques, autre sujet que j’ai négligé, un peu pour les mêmes raisons. C’est une question importante, qui reste à étudier, que celle des médiateurs entre les livres et le public, et de leur rôle prescripteur. Mais je me permettrai de rappeler que mon sujet n’était pas le marché de la bande dessinée, ses structures, ses réseaux et fonctionnements, mais bien le statut culturel de cet art qui nous est cher. J’ai été très intéressé d’apprendre les résultats de l’émission sur les “Grands Belges”, dont j’ignorais qu’elle avait eu lieu. En effet, les différences avec la France sont très significatives.


2. Réaction de Redwane (par mail)

Très bon article mais juste un ou deux petits commentaires :

1. "Cette « insémination » de style est parfois malheureuse mais elle devrait, à plus ou moins long terme, enrichir le vocabulaire de la Bande Dessinée". Comme discuté j’aurais rappelé la grande époque de Métal Hurlant et donc de Moebius qui s’inspirait de certains codes graphiques japonais => et tout le monde sait quelle carrière ce monsieur a fait. :)
2. "Je dois ici saluer l’excellent travail de Dupuis qui poursuit une politique éditoriale relativement « saine »". A l’exception de Spirou et Fantasio, où ce gentil éditeur n’a pas voulu donner la chance à Tome et Janry de changer ce qui aurait pu créer un renouveau…. Le problème se situe aussi à ce niveau dans le sens que les gros éditeurs sont parfois assez frileux pour se « dénoter » du reste de la production (à la différence du manga qui nous a apporté un vent de fraicheur…).

Je suis d’accord que ces deux remarques n’ont aucune valeur ajoutée à l’article mais bon :)



3. Réaction de Herbv (sur le forum de BulleDair)

Texte très intéressant à lire, Nicolas, merci. Il est toujours intéressant de lire le point de vue d'un professionnel et on entend trop rarement les libraires s'exprimer. Et je conseille aussi à tout le monde de lire OCBI de TG, c'est un excellent ouvrage. Je dois dire que je n'ai jamais trop cru au péril manga en France ou en Belgique, du moins, tel qu'il a pu être annoncé ici ou là. Certes, il est difficile de prévoir comment va pouvoir évoluer le monde de l'édition de la bande dessinée franco-belge, mais je ne pense pas qu'il disparaîtra de sitôt, balayé par son homologue nippon. En effet, le manga francophone a de gros soucis de rentabilité actuellement : la multiplication des éditeurs qui se font une concurrence féroce sur les achats de droits, l'explosion du nombre des sorties alors que le CA global ne progresse pas dans la même proportion, ont conduit à une baisse notable de la rentabilité moyenne. Depuis quelques mois, les problèmes se multiplient à commencer par les arrêts de séries (officiels ou non car certains n'osent pas le dire) suivi de l'augmentation continuelle du prix de vente des mangas. Les titres se vendant biens ne sont pas nombreux, ceux faisant un bide commercial sont légions. Je partage aussi le même point de vue concernant les dernières sorties "grand public" que je trouve de moins en moins enthousiasmantes. Mais peut-être est-ce tout simplement le fait qu'on peut me rattacher à la génération des trentenaires et que je commence à être un "vieux con" :)

PS : Par contre, mon budget BD n'a jamais été aussi important, même s'il s'est déplacé en grande partie du FB 48CC sur le Manga puis de plus en plus sur l'Indé.



4. Réaction de Thyuig (sur le forum de BulleDair)

Excellent article qui a du te demander un temps fou à écrire. Je partage vraiment tes opinions sur la desaffection des trentenaires (ou pré-) quant à la qualité qui baisse sérieusement en ce moment. Personnellement, je n'achète plus que 5 ou 6 titres par mois depuis janvier, chose inconsevable il y a un ou deux ans.


5. Réaction d'Arzak (libraire) (sur le forum de BDTheque)

J 'ai lu cet article avec interêt et je suis globalement d'accord avec ce que dit Nicolas...

La profusion inutile de titres rend le métier de plus en plus difficile... le plus ennuyeux, c'est ce paradoxe :

- d'un côté, la profusion de mauvais titres fait, que même en écartant la question du temps qu'il faudrait pour lire ces albums, il est impossible pour un libraire de tout lire au risque d'être dégouté... en tant qu'amateur de bd, il faut se préserver... le risque est de perdre goût au métier... lire des bons albums, donne envie de lire plus de bd, lire des albums médiocres, vous en dégoûte...

- d'un autre côté, il y a les clients, qui demandent, à la vue d'une couverture si "c'est bien?" et qui attendent de vous d'avoir tout lu...

Comme Nicolas, je pense la surproduction en manga est particulièrement criante... et j'en lis tout simplement de moins en moins... je crois même que j'en lis moins qu'à l'époque ou je n'étais pas libraire... un comble... mes coups de coeur manga, je les ai eu il y a quelques années et je lis toujours les mêmes auteurs depuis des années : Tezuka, Adachi, Tanigushi, Urasawa... pas de découverte majeure pour moi depuis longtemps... c'est assez afligeant quand on voit le nombre de mangas publiés chaque année... il y a des éditeurs dont le catalogue entier est au ras des paquerettes : les Kami, Saphira, Tokebi...



6. Réaction de Thierry Martin (dessinateur) (par e-mail)

je ferai court.
"Le libraire, c'est la colonne vertebrale de la bande dessinée", il faut que cela se sache.