mercredi, septembre 27, 2006

Notes de lecture (IV): fin septembre 2006


© 2006 auteurs & éditeurs respectifs

Voici trois de mes coups de coeur pour la fin septembre (désolé du retard). Trois ouvrages sensibles, trois récits de l'intime mais trois approches différentes. Que demander de plus? Ah oui... des chroniques...


All My Darling Daughters de Fumi Yoshinaga, Casterman/Sakka (sur Bulle d'Air)

Comme ça avait la couverture d'un shôjo ("manga pour jeune fille") et que ça avait l'odeur d'un shôjo, j'ai fait l'impasse. J'ai beau apprécier de nombreux comics (et comix) américains, des mangas, des manhwas et des ouvrages "grand public" ou "alternatifs" européens, parfois j'ai quand même quelques a priori (en fait, j'en ai souvent)... Il aura fallu que j'observe Sandra en train de lire All My Darling Daughters à côté de moi pour être tenté par l'ouvrage. Il fallait la voir passer alternativement du rire à l'émotion. Elle était entièrement absorbée par ce récit. Il fallait surtout l'entendre me dire: "Quoi?! Tu lis plein d'albums écrits par des gens qui croient leur quotidien intéressant et tu ne comptes pas lire All My Darling Daughters qui sonne plus juste que beaucoup d'autobiographies dessinées?!" Bon. Ok. Let's go! Après lecture, je ne pouvais faire qu'une chose: lui donner raison. Je me suis retrouvé plongé dans le même état qu'elle. C'est drôle, c'est touchant et ça sonne juste. Ca sonne juste parce qu'il y a une parfaite maîtrise du ton et du rythme tout au long de ces 200 pages. Je ne suis pas un grand fan des albums qui ont pour thème la remise en questions des trentenaires et All My Darling Daughters parvient à ne pas tomber dans l'apitoiement facile. Chez Fumi Yoshinaga, la situation de constat n'est qu'un prétexte. L'auteur préfère nous dévoiler tout le parcours, complexe et difficile, qui mène à la prise de conscience. Mais avec tendresse et beaucoup de dérision car si l'on ressent bien une chose dans cet ouvrage, c'est l'amour profond qu'éprouve Fumi Yoshinaga envers ses personnages. Et elle nous donne envie de les aimer aussi. Alors oui, ça a le goût du shôjo. Oui, certains parlerons de "sensiblerie". Mais au diable mes a priori d'intello snobinard! Cet album m'a touché et c'est bien l'important!

Histoire Couleur Terre #1 (sur 3) de Kim Dong-Hwa, Casterman/Ecritures (sur Bulle d'Air)

Ca avait la couverture d'un shôjo (cfr. plus haut) et ça avait l'odeur d'un shôjo, mais je n'ai pas fait l'impasse. Pourquoi? Parce que c'était dans la collection Ecritures. Ca aussi c'est lié à un priori... Kim Dong-Hwa m'avait déjà séduit au travers des trois albums de La Bicyclette Rouge (parus chez Paquet) où l'auteur nous dépeint une superbe galerie de portraits de villageois. Dans Histoire Couleur Terre, l'auteur s'attache à deux personnages: une jeune veuve et sa fille. Cette dernière se nomme Ihwa et elle n'est encore qu'une enfant lorsque débute le récit. Mais plus pour longtemps. Car la puberté approche et elle sent poindre en elle de nombreuses émotions jusque-là inconnues. Sa mère est attendrie par ses questions parfois embarrassantes. Mais la veuve Namwon va bientôt se poser autant de questions que son enfant à l'arrivée d'un écrivain public. Elle va redécouvrir le sentiment amoureux auprès de cet homme qui ne passe par leur village que très rarement. Au fil des saisons, la jeune Ihwa va ainsi observer les comportements mystérieux de sa mère et apprendre les rituels, les gestes et les regards qui naissent entre un homme et une femme. Une complicité, superbement dépeinte par l'auteur, se noue entre la mère qui oublie son veuvage et l'enfant qui s'éprend d'un jeune moine bouddhiste de son âge.
Kim Dong-Hwa nous convie, au travers du premier tome de cette trilogie, à un magnifique voyage au coeur de la Corée rurale où chaque plante, chaque fleur, compose une nature riche et complexe; celle de la féminité.

World Trade Angels de Fabrice Colin & Laurent Cilluffo, Denoël Graphic (sur Bulle d'Air)

Merci Denoël Graphic pour ce superbe livre-objet! Sous la magnifique maquette de cet album se cache un récit tout aussi intéressant. Depuis A l'Ombre des Tours Mortes, j'avais un peu peur des sujets sur le 11 septembre. Mais World Trade Angels nous offre tout autre chose. Stanley, un jeune cadre new-yorkais, a été témoin de l'attentat. Depuis, comme de nombreux habitants de cette ville plongée dans un état post-traumatique, il semble perdre pied. Tout lui échappe et il ne lutte pas. Il fait le choix de ne pas faire de choix. Sa compagne le quitte, il ne travaille plus et son père, imposante figure, l'écrase de son poids plutôt que de le relever. Il perd le fil jusqu'à perdre celui de la narration. Car quelque chose cloche dans le récit de Stanley. Le lecteur, intrigué, poursuivra sa lecture jusqu'à comprendre enfin ce qui a poussé cet homme à lentement sortir du monde. World Trade Angels est une oeuvre forte et intelligente autant dans sa forme que dans son propos. C'est aussi une oeuvre atypique dont la tonalité s'accorde parfaitement au caractère unique de l'événement historique.

samedi, septembre 09, 2006

Notes de lecture (III): mi-septembre 2006


La Marie en plastique #1 de Prudhomme & Rabaté, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Rabaté aura marqué la rentrée 2006 avec son excellent Les Petits Ruisseaux chez Futuropolis. Pour cette rentrée scolaire, il nous revient au scénario de La Marie en plastique #1 avec David Prudhomme au dessin. Je n'avais pas été emballé par le style de ce dernier dans le collectif Japon paru chez Casterman/Ecritures mais je dois avouer qu'il s'en sort plutôt bien sur ce nouveau titre. Il rend avec justesse le caractère de chacun des membres d'une famille dont trois générations cohabitent sous le même toit. Ce rapport de proximité n'est pas toujours évident à gérer surtout quand les grands-parents ont des comportements encore plus puérils que leurs petits enfants. Les disputes au sein de ce couple âgé sont fréquentes et leur discorde porte principalement sur leurs convictions politiques et religieuses: lui fait partie d'une cellule communiste, elle est "grenouille de bénitier". Le reste de la famille semble s'être accommodé de leurs scènes de ménage jusqu'au jour où une goutte d'eau (bénite) fait déborder le vase. La grand-mère place une Vierge en plastique sur la télévision familiale. Son mari se doit donc de répliquer avec autant de force. La guerre (froide) est ouverte.
Au-delà de cet élément anecdotique, Rabaté nous fait profiter de son sens aigu de l'observation. Son récit et ses personnages sonnent juste et ma mère m'en apportera la confirmation en s'exclamant toutes les deux pages : "Ca, c'est bien vrai! Je me souviens d'une amie qui...". Un très agréable moment.

La Volupté de Blutch, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
La Volupté, c'est une pièce de théâtre aux accents surréalistes. Blutch, au travers de son coup de crayon magistral, met en scène divers personnages dont la vie sera affectée par la traque d'une bête "dangereuse" qui parcourt la région. Mais cette créature mystérieuse les poussera à s'enfoncer dans le bois pour se retrouver "en proie" à leurs désirs, leurs pulsions primales, leur mal-être. Blutch confirme au travers de cet album son statut d'auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Sa recherche de nouvelles formes de narration est en adéquation parfaite avec son trait à la fois libre et entièrement maîtrisé.

Le Jardin Armé et autres histoires de David B., Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Ce recueil est composé de trois histoires: Le Prophète Voilé, Le Jardin Armé et Le Tambour Amoureux. Les deux premières ont été publiées dans la revue Lapin, la troisième est inédite et dans la lignée graphique des précédentes. On connaissait l'auteur pour son impressionnant travail sur le noir & blanc, il faudra désormais l'apprécier aussi pour ses couleurs. Ses somptueux lavis aux teintes brunes nous plongent au temps des guerres de religion et des hérésies, sur les terres chrétiennes et musulmanes.
Le tout est très bien écrit et ravira ceux qui comme moi ont aimé Les Incidents de la Nuit et Léonora (avec Pauline Martin).


Guilty de Karl Stevens, Ego Comme X (sur Bulle d'Air)
Ego comme X est allé chercher Karl Stevens loin des sentiers battus de la Bande Dessinée américaine. Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur avant l'annonce du programme de l'éditeur alternatif français. En fouinant sur la toile, j'ai pu découvrir quelques très belles planches au style graphique surprenant. De nombreux auteurs américains se plongent dans l'épuration et le minimalisme alors que Karl Stevens joue avec un dessin réaliste aux hachures fouillées.
Mark et Ingrid se croisent dans la rue, un an après leur séparation. L'auteur nous fait partager toutes les pensées qui traversent l'esprit des deux personnages alors qu'ils échangent des banalités d'usage. L'hypocrisie et les faux-semblants sont bien sûr au rendez-vous. Mais ce que Karl Stevens fait ressortir lors de cette scène et des suivantes c'est avant tout la difficulté de gérer ses sentiments face à une personne avec qui on a partagé son intimité. Lui doit-on encore quelque chose au nom de cette relation passée? A quel moment peut-on se sentir quitte de son ancien partenaire quand on est rongé par le sentiment de culpabilité de l'avoir trompé ?
Guilty est donc un album au sujet intéressant mais qui aurait gagné à être un peu moins chargé. Il manque quelques souffles qui permettraient au lecteur de trouver sa place dans le récit. Mis à part cette remarque, l'univers personnel de Karl Stevens s'annonce très prometteur. J'attends avec impatience son nouvel opus.

Sorcières #1 de Daisuké Igarashi, Casterman/Sakka (pas encore sur Bulle d'Air)
Après une période un peu creuse, la collection Sakka revient avec quelques titres très intéressants (comme All my Darling Daughters dont je parlerai bientôt et Voyage à Uroshima). Sorcières n'est pas une compilation des meilleurs gags de Mélusine. Daisuké Igarashi nous emmène découvrir les arcanes les plus sombres de la sorcellerie à travers le monde. Ce premier album de la série est composé de trois histoires complètes; une longue, deux plus courtes. La première se déroule à Istanbul et évoque l'ascension d'une sorcière puissante et néfaste décidée à détruire ceux qui se sont un jour opposés à elle. Le dessin de l'auteur rend parfaitement la noirceur qui se dégage de cet être assoiffé de pouvoir et de vengeance. L'horreur est au rendez-vous. Le second récit se passe en Amazonie où la sorcière d'une tribu tente de protéger leur terre d'entrepreneurs sans scrupules. Là aussi, l'auteur parvient à créer une ambiance chargée de douleur. Le dernier récit est dans une tonalité plus légère.
J'ai beaucoup aimé cet ouvrage qui aborde la fantastique de manière très profonde en se tenant loin des clichés du genre (comme les Swamp Thing ou les Promethea d'Alan Moore).

Wizz et Buzz #1 de Winshluss & Cizo, Delcourt/Shampooing (sur Bulle d'Air)
Un album "sympathique" par les auteurs de Monsieur Ferraille (aux Requins Marteaux). Au vu de la couverture et des deux noms qui y apparaissaient, je m'attendais à de l'acide chlorhydrique à l'état pur. Finalement, les gags de cet album restent assez gentils. Il est vrai que la collection Shampooing se présente comme suit : "Ca lave la tête et ça fait des bulles. Shampooing, c'est pour les grands qui savent rester petits et les petits qui veulent devenir grands". Si l'on tient compte de cet aspect "tout public alternatif", l'album atteint parfaitement sa cible. Le duo de Wizz et Buzz fonctionne un peu comme celui d'Itchy & Scratchy (cf. Les Simpsons) sauf qu'ici, les personnages sont censés être amis...

Un Ciel Radieux de Jirô Taniguchi, Casterman/Ecritures (sur Bulle d'Air)
On nous annonçait un Taniguchi dans la lignée de ses oeuvres les plus importantes. Un Ciel Radieux se place en effet dans cette continuité avec un récit de l'intime aux accents fantastiques proches de Quartier Lointain. Un jeune motard du nom de Takuya Onodéra est fauché par un camionnette. Il survit mais est plongé dans un profond coma. Kazuhiro Kubota, le chauffeur de la camionnette, est mort sur le coup... ou presque. Son esprit est resté sur terre, emprisonné dans le corps du jeune motard. Lorsque ce dernier sort de son état d'inconscience, il est animé par l'esprit du défunt. Kazuhiro Kubota va donc intégrer bien malgré lui la cellule familiale du jeune homme et faire semblant d'être amnésique. Il reste cependant décidé à retrouver la femme et la fille qu'il a laissé derrière lui. Mais le reconnaîtront-ils sous cette nouvelle apparence?
L'histoire est intéressante et pourrait être très émouvante. Seulement le récit est trop long, trop appuyé tant au niveau de la morale que du mélodrame. En 200 pages au lieu de 300, Taniguchi serait parvenu à plus d'efficacité. Dans la lignée de Quartier Lointain mais d'un niveau légèrement inférieur.

Excursion Coréenne de Nicoby, Six Pieds sous Terre/Lépidoptère (sur Bulle d'Air)
Un récit de voyage en Asie après les excellents Shenzhen et PyongYang de Guy Delisle peut sembler être un exercice difficile. Nicoby s'en sort très bien avec son Excursion Coréenne qui relate un voyage en Corée du Sud en 2001. Le ton est plaisant. Souvenirs et anecdotes s'enchaînent sur un bon rythme. On peut regretter que l'album ne fasse que 30 pages; j'aurais voulu être dépaysé un peu plus longtemps...

A+

mardi, septembre 05, 2006

Notes de lectures (II): début septembre 2006

Ce n'est pas encore l'automne et pourtant les feuilles tombent par reliures entières. A peine le temps de préparer cette deuxième série qu'arrivent déjà les nouveautés Futuropolis: La Marie en plastique #1 de Prudhommme & Rabaté (très bon), La Volupté de Blutch (superbe) et Le Jardin Armé et autres histoires de David B.. Sans compter Un Ciel Radieux de Taniguchi (Casterman/Ecritures), Wizz et Buzz #1 de Winshluss et Cizo (Delcourt/Shampooing) et Guilty de Karl Stevens chez Ego comme X. Je vous en parle dans le prochain post. Voici déjà les huit nouvelles notes. J'ai été à l'essentiel. Comme vous l'aurez constaté, j'ai mis un lien vers le site Bulle d'Air pour chaque titre, histoire d'avoir quelques avis supplémentaires...

© 2006 - auteurs et éditeurs respectifs


Malédictions de Kevin Huizenga (Vertige Graphic - Coconino Press) (sur Bulle d'air)
J'ai déjà évoqué cet album lors d'une présentation de Kevin Huizenga sur ce site (cf. entretien Xeroxed). Il s'agit d'une compilation de cinq histoires courtes parues précédement dans diverses anthologies américaines (Kramers Ergot, Drawn & Quarterly Showcase...). Si chacun de ces récits peut être classé dans un genre bien particulier (récit d'horreur victorien, conte fantastique, débat théologique ou récit du quotidien), tous partagent le même personnage central. Glenn Ganges vit en effet d'étranges aventures. Confronté à l'apparition fantomatique d'un chien tenant une main dans sa gueule ou lancé à la poursuite d'un ogre qui pourrait mettre fin à la stérilité de son couple, il fait pourtant preuve d'un grand pragmatisme. Car toutes les théories, cartésiennes ou non, semblent coéxister dans son univers. Ce dernier, ouvert à tous les possibles, est rendu dans un style graphique qui lui correspond à merveille; celui de la ligne claire. Kevin Huizenga me donne envie de croire à l'incroyable. Un vrai coup de maître et un vrai coup de coeur.
P.S.: cet album est plus convaincant à mes yeux que le Ganges #1 paru chez Vertige Graphic/Coconino Press (même si ce dernier avait déjà de nombreuses qualités).
P.P.S.: Le carnet d'entretien Xeroxed consacré à Kevin Huizenga est offert à l'achat d'un des albums de ce dernier à la Bulle d'Or (Bruxelles).

Leçon de Choses de Grégory Mardon (Dupuis/Double Expresso) (sur Bulle d'air)
A l'annonce de chaque nouveau Mardon, je trépigne d'impatience. J'avais été séduit par son Cycloman (chez Cornélius avec Charles Berberian) et son Vagues à l'âme (Humanoïdes Associées/Tohu-Bohu) . J'avais été ravi par Ingognito #1 et Corps à Corps chez Dupuis. Je me jette donc sur la Leçon de Choses. Mardon me surprend par une mise-en-page plus aérée qui correspond bien au regard que porte Jean-Pierre, un préadolescent attachant, sur le monde rural dans lequel il vit. Le jeune garçon nous livre son quotidien sur un ton enfantin qui m'a d'abord dérangé mais auquel on se fait rapidement. Sa naïveté va progressivement se heurter à la réalité des choses. Au travers d'une série d'expériences anecdotiques et de rencontres déterminantes, Jean-Pierre va découvrir la complexité des rapports humains. La relation difficile qu'entretiennent ses parents le poussera à chercher refuge, un temps, dans la nature qui l'entoure et l'imagination qui l'habite. Mais on ne peut fuir bien longtemps et la vie lui donnera une leçon à laquelle il ne pourra échapper. Cette impossibililté pour Jean-Pierre d'être un "acteur" du drame m'a dérangé dans la seconde partie de l'album. J'expérimentais une frustration de voir ce récit échapper à son narrateur. J'ai d'abord eu le sentiment que c'était Grégory Mardon qui perdait le fil de son histoire alors qu'il rendait en réalité, et avec beaucoup de justesse, le sentiment d'impuissance de son personnage. Un album très réussi si on est prêt à perdre pied.

Little Star d'Andi Watson (Cà et Là) (sur Bulle d'air)
Je me souviens encore du jour où j'ai acheté le premier fascicule de Geisha, une série dessinée par un auteur dont je n'avais jamais entendu parler. J'avais été attiré par le style graphique épuré d'Andi Watson. J'achetai les numéros suivants pour finir par me procurer toute sa production. Mais au fil des années, je me suis de moins en moins retrouvé dans ses récits. Slow News Day, Ruptures et Breakfast Afternoon ne sont pas lectures désagréables mais elles ne m'auront pas laissé de souvenirs impérissables. C'est donc avec un peu d'appréhension que je me plongeai dans Little Star. Je trouvai l'installation du récit particulièrement lente. Je ne parvenais pas à entrer en empathie avec Simon Adams, le personnage principal de l'album. Père d'une petite fille capricieuse et assez insupportable, ce dernier semble accepter l'existence morne dans laquelle il est figé. Il subit sans broncher. Ses états d'âme m'agacent vite. J'allais abandonner la lecture de l'album en cours de route mais le récit prit peu à peu une nouvelle tournure. Simon Adams dévoile progressivement des instants marquants de sa vie de père. Enfin on découvre, par touches subtiles, les décisions qu'il a prises, les actes qu'il a posés. Il se dégage une forme d'évidence dans la seconde moitié de l'album. On expérimente une émotion intime et profonde pour un personnage qui semblait jusque-là si fade. Une fois l'ouvrage refermé, on ne peut que féliciter l'artiste. Un de ses meilleurs albums.

Joseph de Nicolas Robel (La Pastèque) (sur Bulle d'air)
Les mots "magique" et "tragique" s'accordent bien lorsqu'on parle de Joseph. Joseph, c'est un petit garçon aux mains immenses. Des mains qui le privent de l'affection de ses parents. Des mains qui provoquent le rire de ses camarades. Seuls ses jouets ne se moquent pas de lui. Seuls ses jouets sont doués d'humanité. Mais ils ne pourront rien face au drame qui s'abattra sur l'enfant... et sur moi. Car Nicolas Robel, au moyen d'une parfaite maîtrise du cadrage, a réussi à me placer au coeur même de la tragédie. Un geste bien cruel envers ses lecteurs qui ne lui en voudront pas longtemps.

Sclérose en Plaques de Mattt Konture (L'Association/Mimolette) (sur Bulle d'air)
Autant le dire tout de suite, je n'ai jamais été un grand fan de Mattt Konture. Sans raison particulière. Ca ne prenait pas, c'est tout. Mais avec Sclérose en Plaques, je dois bien avouer que j'ai revu ma position. Mattt Konture y dévoile la maladie qui le ronge avec une émotion juste. Il ne s'apitoie pas sur son sort, au contraire. Il se livre avec une simplicité et une rigueur qui lui font honneur. L'auteur tente de découvrir depuis combien de temps il est habité par ce mal en revenant sur les douleurs physiques inexpliquées qui l'accompagnent depuis de nombreuses et qui pourraient être autant de symptômes de la maladie. Il assemble des cases reprises de ses albums précédents pour illustrer son propos et nous découvrons ainsi l'évolution de sa maladie en même temps que celle de son oeuvre. Un des meilleurs albums de la collection Mimolette.

Prelude to a Kiss d'El Don Guillermo (L'Association/Mimolette) (sur Bulle d'air)
El Don Guillermo nous propose un ensemble d'histoires courtes à l'Association après une série d'albums autoédités chez Misma. L'ouvrage est difficile à classer tant les récits sont décalés. J'ai été décontenancé par le côté parfois un peu "survolté" (ou confus) de la narration. J'attends de voir les prochains travaux de ce jeune dessinateur dont le ton pourrait s'avérer intéressant.

Panier de Singe de Florent Ruppert & Jerome Mulot (L'Association/Ciboulette) (sur Bulle d'air)
Voilà un album que j'attendais avec une folle impatience. Je m'étais mangé une bonne grosse claque en découvrant les quelques histoires courtes de Ruppert et Mulot publiées dans la revue Ferraille. Le ton était aussi corrosif que novateur; il était tout simplement unique. Ces deux auteurs semblent ne pas avoir de limites. Ils osent tout, tant dans l'approche de la mise-en-page que celle des dialogues. Ils sont passés maître dans l'art d'enchaîner à un rythme effréné de courtes répliques au contenu totalement amoral (et je dis bien "amoral" tant les personnages de Ruppert et Mulot semblent en dehors de tout rapport à la notion de moralité). Brian Michael Bendis, si tu me lis, je suis désolé mais j'ai trouvé plus fort que toi... Soit. Panier de Singe reprend les histoires courtes parues dans Ferraille et de nombreux inédits (et de très chouettes jeux visuels à bricoler chez soi). Un album à découvrir absolument (tout comme leur Safari Monseigneur lui aussi paru à L'Association).
P.S.: "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui" alors si tu es "n'importe qui", ne lis pas cet album.

Ivoire d'Emile Bravo & Jean Regnaud (La Pastèque) (sur Bulle d'air)
Les éditions de la Pastèque ont eu une excellente idée en rééditant le premier album d'Emile Bravo, l'auteur des géniales aventures de Jules. On y retrouve tout le mordant d'un Yann des débuts. En effet, si les personnages de Ruppert et Mulot sont amoraux, ceux de Regnaud et Bravo sont immoraux. Joost Vanlabecke, dont nous suivons les "tribulations" durant l'époque coloniale, a tout d'une vraie crapule. Sa méchanceté, ou plutôt sa cruauté, n'a d'égal que sa cupidité. Il est prêt à tout pour s'enrichir, même à massacrer tous les éléphants d'une de ses connaissances (et ses propres "boys" par la même occasion) afin de récupérer leurs défenses. En une petite trentaine de planches, nous découvrons donc un recensement des pires penchants de la nature humaine, le tout servi sur un ton et un rythme implacables. Une fort agréable lecture.
A+

vendredi, septembre 01, 2006

Notes de lectures (I): fin août 2006

Au vu de l'incroyable quantité de nouveautés annoncées pour cette rentrée de septembre, j'ai eu envie de publier quelques notes de lecture pour ceux qui aimeraient avoir un avis sur certains titres. Mon avis n'est bien entendu qu'indicatif et personnel. Vos réactions (coups de coeur et coups de gueule) sont les bienvenues dans l'espace "commentaires".

© 2006 auteurs et éditeurs respectifs

Libre comme un Poney Sauvage de Lisa Mandel (Delcourt/Shampooing) (sur Bulle d'air)
Ok, j'ai honte. Je n'avais jamais lu le blog de Lisa Mandel avant de découvrir cet album qui compile ses posts d'août 2005 à mars 2006. Et alors? Ca arrive même aux meilleurs... Et puis je tiens à dire que j'avais quand même lu Nini Patalo et Eddy Milveux (qui sont très chouettes). Merci donc à Lewis Trondheim d'avoir publié ce blog en album dans sa collection Shampooing (et d'apporter de nouveaux formats chez Delcourt) pour les retardataires dans mon genre. Lisa Mandel évoque son voyage en Argentine avec humour, autodérision et surtout un langage des plus fleuris. Je n'ai pas le sentiment que j'ai vraiment découvert l'Argentine mais au moins je me suis bien amusé. C'est dans le ton du moment (cf. Frantico et Boulet) mais avec une femme derrière le crayon. Comme le signale Lisa Mandel, c'est donc truffé "de sensibilité, de finesse, de poésie, de spiritualité, de nobles intentions, d'une certaine grâce fragile, de problématiques différentes et magnifiquement complexes". Haha. Surtout la finesse!

La Sirène des Pompiers d'Hubert & Zanzim (Dargaud/Poisson-Pilote) (sur Bulle d'air)

Un one-shot dans la collection Poisson-Pilote, c'est une bonne nouvelle en soi. Une nouvelle qui s'annonce d'autant plus agréable si l'on sait que cet album est scénarisé par Hubert (dont j'avais bien aimé le Miss Pas Touche #1). L'installation de l'album est assez accrocheuse, l'univers bien installé. Paris, fin XIXième. Gustave Gélinet, un jeune peintre dont les débuts ont été fort critiqués, connaît soudain un succès foudroyant grâce à un tableau représentant une sirène. Cette toile surprend tous les critiques par la qualité de son rendu réaliste. Fulmel, le détracteur le plus féroce de Gélinet, est persuadé que le peintre est dénué de toute imagination artistique et qu'il ne peut donc avoir réalisé cette oeuvre au thème mythologique. Fulmel a à la fois tort et raison. Si Gélinet est bien l'auteur de la toile, il n'a pas imaginé la créature. La sirène existe bel et bien, cachée à l'abri des regards indiscrets dans l'atelier de l'artiste. Mais la curiosité du critique d'art, les ambitions du peintre et les désirs de la sirène vont mettre la pérénnité de ce fragile secret en péril. Le récit s'annonce donc prometteur mais il souffre hélas d'un problème de rythme. Ou plutôt de "souffle". J'ai le sentiment qu'il y a certaines longueurs et quelques rebondissements mal gérés. La lecture reste agréable dans l'ensemble et le trait de Zanzim s'accorde bien au ton mais l'album ne m'aura pas séduit comme le premier Miss Pas Touche.


Le Sang des Voyous de Loustal & Paringaux (Casterman) (sur Bulle d'air)

Loustal nous revient avec de grandes images. Des images qui marquent par la justesse des plans choisis. Toujours le plan de Loustal complète le texte de Paringaux, le souligne par un rappel ou le sublime. C’est une nouvelle leçon d’«écriture bande dessinée » que nous offre ce duo à qui l’on doit déjà Kid Congo et La Nuit de l’Alligator. La forme est donc parfaitement maîtrisée et fait honneur au « Neuvième Art ». Mais l’esthétique n’est pas tout et le récit doit encore convaincre. Il nous fait emprunter les pas de Louis, un tueur à gages dont la route s’achèvera bientôt. Louis est malade. Ses jours sont comptés. Il trouvera cependant la force de quitter le mouroir où il gît pour tenter d’accomplir un dernier contrat, un contrat qu’il a passé avec lui-même. Si Moebius signalait qu’on pouvait imaginer « une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé, ou de flamme d’allumette soufrée », Paringaux a conçu la sienne en forme de rose. Des épines de cuivre et des pétales de sang jailliront inexorablement tout au long de la traque menée par Louis. Bon, je vais arrêter mes métaphores à deux francs cinquante et vous dire que j’ai beaucoup aimé. Je pourrais aussi dire que j'ai trouvé un petit côté Dark Knight Returns à cet anti-héros vieillissant dont le corps en ruine est animé par une détermination aveugle. Mais là aussi je ne vais pas me perdre dans une comparaison du même tonneau que mes métaphores. Bref, du grand Art. Seul bémol: j'ai eu un sentiment de "déjà vu" pour certaines séquences de l'album. J'ai dû trop souvent regarder les films de Kitano...


Monologues for the Coming Plague d'Anders Nilsen (Fantagraphics).

Avec cet album (uniquement en v.o. anglaise), Anders Nilsen nous emmène bien loin de son superbe Des Chiens, de l’Eau (Actes Sud). L’album volumineux compile deux carnets de croquis où se succèdent plusieurs séries de dialogues improbables. On y retrouve des oiseaux à la répartie surprenante (comme dans ses Big Questions), un débat délirant sur la sémiotique et des mini-récits totalement décalés. Quelques séries de dessins fonctionnent sur un système de running-gag assez réussi, d’autres pas du tout. L’ensemble est dessiné de manière très naïve et minimaliste (un dessin par page). C’est donc vite lu (mais ce n'est pas un reproche) et assez peu convaincant au final (surtout pour 18.95 $). Cette déconstruction est sans doute liée à la période de troubles qu’a vécu l’auteur suite au décès de sa compagne. L’album autobiographique qu’Anders Nilsen a écrit suite à ce drame devrait bientôt être disponible (Don’t Go Where I Can’t Follow chez Drawn & Quarterly) et s’annonce plus intéressant.


Cosmos de Kim Sung Yun (Dargaud/Made In) (sur Bulle d'air)

J'ai été assez séduit par la couverture et les quelques planches rapidement feuilletées de cet album coréen. Les couleurs directes posées avec beaucoup de talent avaient tout pour séduire. Hélas, ce recueil d’histoires courtes ne m’a finalement pas convaincu outre mesure. J’ai décroché un peu plus à chaque histoire, sans doute à cause du côté un peu « fouillis » de cette compilation. Notons cependant que l’utilisation de la couleur est assez remarquable tout comme le rendu de quelques scènes érotiques. L’auteur s’amuse aussi avec quelques expériences narratives intéressantes. J’espère que toutes ces qualités pourront s’exprimer de manière plus aboutie dans un prochain album.


Le Retour à la Terre #4 de Jean-Yves Ferri & Manu Larcenet (Dargaud/Poisson-Pilote) (sur Bulle d'air)

A la sortie d’un nouveau Retour à la Terre, je me retrouve dans une situation terrible. Pareil pour Sandra. Qui de nous aura le privilège de le lire en premier en rentrant à la maison ? Je suis parvenu à mettre le grappin dessus, Sandra préférant se le réserver pour clore notre soirée-lecture. J’ai bien aimé même si j’ai un peu moins ri que pour les précédents. Mais j’imputerai cela à la fatigue car l’alchimie continue à opérer entre Ferri et Larcenet. Je me suis quand même bien amusé avec Sandra lorsque nous avons passé en revue nos gags préférés. La série garde donc un bon niveau et reste l’une de mes favorites tant ces tranches de vie de couple me semble bien observées. Et je ne crois pas que je dois m’éterniser sur ce titre qui a déjà très bien été défendu et mis-en-avant.


Lucha Libre #1 de Bill & Jerry Frissen avec Tanquerelle, Fabien M., Ines Vargas, Gobi & Witko (Humanoïdes Associés) (sur Bulle d'air)

Ce petit fascicule au format "américain" m'aura fait passer un très agréable moment. Et mon problème pour cette chronique, c'est que Lucha Libre, ça ne se résume pas; ça se lit! Mais bon, je vais faire un effort pour les plus sceptiques. Disons que cet univers déjanté où une bande de cinq copains aux masques de catcheurs mexicains affrontent des loups-garous en plein quartier résidentiel paumé de Los Angeles tandis que deux martiens s'exclament, l'air grave, devant un dinosaure errant dans la ville: "Le grand Ballet cosmique se met en place...". Il y a un côté Bill Plympthon qui... Non. J'ai dis que j'arrêtais les comparaisons... C'est tout simplement un bon gros délire qui tient la route (eh oui). Car cet univers a sa propre cohérence (si si) et surtout un ton qui permet de s'y plonger et ne plus vouloir en sortir. Le tout est servi par une "dream team" composée de Jerry Frissen, le scénariste des Zombies qui ont mangé le Monde (un Belge qui sait rire de sa belgitude, ça fait du bien à l'heure où Delcourt sort ses "blagues belges"), Bill & Gobi (au dessin bien pêchu), Tanquerelle (dit "le Talentueux" qui signe des gags en une planche), Witko (l'auteur de Muerto Kid aux Requins Marteaux qui signe lui aussi des histoires courtes) ainsi que Fabien M. et Ines Vargas. J'attends la suite avec impatience. GOJIRA!


London Calling #1 de Sylvain Runberg & Phicil (Futuropolis/"32") (sur Bulle d'air)

Là aussi, ce fut un petit rayon de soleil. Trop bref hélas! Il y a une vraie frustration quand on referme la dernière page de ce premier chapitre (sur neuf prévus). Le découpage de Phicil, l'auteur de Georges Frog #1, est d'une grande fluidité. Son dessin rajoute au plaisir des yeux. Tout comme les très belles couleurs de Drac. Le scénario de Sylvain Runberg nous plonge dans le Londres du début des années '90. Nous découvrons la capitale au travers des yeux de Thibault, un jeune Français de 20 ans qui a décidé de s'y installer avec un ami. Il garde en mémoire l'excellent souvenir d'un voyage qu'il y a fait précédement. Mais la situation a bien changé depuis son permier séjour et le Londres qu'il va retrouver est moins accueillant que prévu. Les complications s'enchaînent durant le voyage mais ne semblent pas émousser la volonté de Thibault qui est animé par l'effervescence propre à la scène musicale de l'époque. Un vrai plongeon dans la nostalgie. Et puis c'est pas cher (4.90€) !

A+