TINTIN BACK IN AMERICA (I): R. Sala/J. Kochalka
Enfant, j'aimais les albums de Tintin parce que c'étaient ceux de mon père. L'épais papier jauni et mat, l'odeur de vieux livre qui en émane quand on les ouvre, les fils rouges qui s'échappent du dos toilé usé. J'aimais ces aventures fabuleuses, cette galerie de personnages uniques qui faisaient un peu partie de ma famille.
Et comme je me suis souvent disputé avec mon petit frère et ma petite soeur, je me suis souvent disputé avec Tintin.
Je suppose que c'est une étape des plus normales, une crise d'adolescence dans ma découverte de la Bande Dessinée. Il faut un jour reprocher à Tintin tout un tas de choses parce qu'on passe par la lutte des Modernes contre les Anciens, par snobisme intellectuel, parce que c'est comme ça, pour quelques bonnes raisons parfois.
Et puis, après avoir bien lu les "Modernes", on se rend compte que Tintin est toujours là. Jason me parlait de l'influence d'Hergé sur son oeuvre dans notre entretien du Totem. Une apparition dans un Julie Doucet, un clin d'oeil de Charles Burns, mentionné par Dylan Horrocks, Joe Matt, Chester Brown ou encore James Kochalka. Toujours là dans ma bibliothèque aussi. Parce que ce sont les albums de mon père. Parce que je les aime bien... malgré tout. Une famille, ça ne se renie pas comme ça.
Alors j'ai voulu savoir pourquoi les autres aimaient les aventures de ce jeune reporter belge et surtout ces auteurs alternatifs américains qui le citent si souvent. Je remercie James Kochalka et Richard Sala d'avoir accepté de répondre à mes questions.
1. Richard Sala
Richard Sala est l'auteur de nombreux récits fantastiques où se mêlent l'humour et l'horreur. On retrouve chez l'éditeur alternatif américain Fantagraphics sa série Evil Eye (Peculia), l'anthologie Maniac Killer Strikes Again et le roman graphique Mad Night. Il a participé à RAW, l'anthologie culte dirigée par Art Spiegelman et Françoise Mouly. Il travaille aussi dans l'illustration (The New York Times) et a participé à une série d'animation (MTV). Son site internet: Richard Sala
Nicolas - Vous souvenez-vous de votre premier contact avec l’oeuvre d’Hergé?
Copyright: Richard Sala/Fantagraphics
Richard Sala – Je devais avoir huit ou neuf ans. Ma famille parcourait l’Illinois en quête d’antiquités. Nous sommes entrés dans une boutique de seconde main et j’y ai découvert mon premier album de Tintin. C’était le Secret de La Licorne en édition cartonnée.
N.- Quel souvenir gardez-vous de cette première ‘rencontre’?
Richard Sala – C’était entièrement différent de toutes les bandes dessinées que j’avais pu voir jusque-là. De toute évidence, c’était bien plus «subtil» que les habituels comics de super-héros ou d’humour produits pour les enfants américains. Ca n’insultait pas l’intelligence du lecteur. Ca m’a même paru très «adulte» à l’époque !
J’étais véritablement tombé amoureux de cet album et je pouvais parcourir longuement la liste des autres titres répertoriés en quatrième de couverture. Il me semblait totalement improbable que je puisse en dénicher un autre ! Mais quelques temps plus tard, j’en ai trouvés dans une petite librairie de Wheaton en Illinois. Je n’en revenais pas!
N.- Quel est votre album préféré?
Richard Sala – Le récit combiné du Secret de la Licorne et du Trésor de Rackham le Rouge est sans doute mon préféré (si je devais n’en choisir qu’un).
N.- Et comme personnage ?
Richard Sala – Le capitaine Haddock !
N.- Avez-vous lu les albums de Tintin dans leurs versions anciennes (premières éditions en noir et blanc/couleurs) ?
Richard Sala – J’achète les réimpressions de ces albums lorsque je parviens à les trouver. C’est fascinant de lire ces premières versions.
N.- D’autres classiques de la Bande Dessinée européenne vous ont-ils aussi attiré (comme Astérix, Les Schtroumpfs, Lucky Luke…)?
Richard Sala – J’ai essayé mais rien n’a jamais égalé mon affection pour les extraordinaires aventures de Tintin.
N.- Quelles sont pour vous les qualités les plus impressionnantes de l’œuvre d’Hergé ?
Richard Sala - Ses personnages! Quelle équipe! J’étais toujours si heureux quand un vieux personnage réapparaissait. Et j’adorais comment, en plein milieu d’une aventure, Dupont et Dupond débarquaient vêtus d’un déguisement ! Il m’arrivait de contempler pendant heures les portraits encadrés des personnages dans les pages de garde des versions cartonnées. Cela a pris des années avant que tous les albums de Tintin soient finalement disponibles aux Etats-Unis et que je puisse enfin faire correspondre tous les personnages avec les albums !
N.- Pensez-vous qu’il y ait une influence directe d’Hergé sur votre propre travail ?
Richard Sala – Oui. Ce n’est pas quelque chose d’évident au premier abord mais plusieurs lecteurs et critiques ont remarqué de petites touches qui leur rappelaient Hergé. Je ne le fais pas à dessein. Il se trouve simplement que l’incroyable maîtrise de la narration d’Hergé est devenue une partie intégrante de mon propre vocabulaire narratif.
(entretien avec Richard Sala réalisé en 2005 via courrier électronique - copyright Richard Sala/Nicolas Verstappen)
2. James Kochalka
James Kochalka est un auteur prolifique. Il aborde la Bande Dessinée comme un vaste terrain de jeu au travers de l'autobiographie (Sketchbook Diaries) , de réflexions sur les comix (Conversations), d'albums où se mêlent action et aventure (Monkey Versus Robot) ou de récits de super-héros (Super F*ckers). Ego comme X a déjà publié son roman graphique Kissers en français et prépare la sortie de son American Elf. Un carnet d'entretien Xeroxed sera édité à l'occasion da la parution de cet ouvrage. James Kochalka est aussi le leader d'un groupe de rock. Son site: James Kochalka
copyright: James Kochalka/Top Shelf
Nicolas – Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec l’œuvre d’Hergé ?
James Kochalka – Oui. Mon père était rédacteur en chef d’un journal et l’éditeur américain de Tintin lui avait envoyé des copies de presse de l’album. Mon père me donna Le Trésor de Rackham le Rouge. Je l’ai adoré mais je me suis plaint du fait qu’il s’agissait de la seconde partie d’un récit qui en comportait deux. Il est monté et est redescendu avec la première partie ainsi que le Sceptre d’Ottokar, le Crabe aux Pinces d’Or et deux autres albums si ma mémoire est bonne. Ce fut un jour merveilleux. J’étais passé en une journée d’une ignorance totale de Tintin à une immersion complète dans son univers.
N. – Quel élément vous frappa le plus à l’époque ?
James Kochalka – J’étais fasciné par la précision avec laquelle ces récits étaient dessinés.
N.- Quel est votre album préféré?
James Kochalka - Le Sceptre d'Ottokar était mon favori. Aujourd'hui, ça n'a plus vraiment d'importance. Je les apprécie tous.
N.- Et votre personnage préféré?
James Kochalka - Milou. Il n'aboie pas de la même manière que les chiens américains.
N.- Avez-vous lu d'autres oeuvres d'Hergé?
James Kochalka - Adulte, j'ai lu trois albums de Jo et Zette. Ils ne m'ont pas laissé une forte impression. Je pense qu'une partie de l'attrait de Tintin tient de la nostalgie. En tant qu'adulte, j'apprécie d'autant plus un album pour enfants s'il évoque quelque chose lié à mon enfance.
N.- Appréciez-vous d'autres classiques de la Bande Dessinée européenne?
James Kochalka - Astérix était l'une des mes séries favorites lorsque j'étais enfant. J'ai commencé à acheter les albums bien avant qu'ils ne soient disponibles en anglais. Mon père m'emmenait à la librairie de l'Université de Dartmouth et je choisissais quelques albums de l'édition française. Je parvenais malgré tout à comprendre une bonne partie des histoires.
L'autre classique européen que j'adorais était les livres des Moomintroll. Pas les bandes dessinées mais les romans.
J'ai aussi découvert les Schtroumpfs mais au travers des jouets. Je les aimais beaucoup et lorsque les adaptations en dessins animés sont apparues, je les ai beaucoup aimées aussi. Je m'amuse encore beaucoup avec le jeu vidéo des Schtroumpfs sur mon vieil Atari. Pour autant que je sache, les albums originaux n'ont jamais été publiés aux Etats-Unis. J'aimerais pouvoir les découvrir.
N.- Quelle est pour vous la plus grande qualité du travail d'Hergé?
James Kochalka - Oh, je n'ai pas très envie de le disséquer ainsi. Je préfère apprécier Hergé comme un tout, sans avoir à le couper en morceaux comme pour une autopsie!
N.- Pensez-vous qu'il ait eu une influence directe sur votre travail?
James Kochalka - Lorsque j'essaie de créer un petit monde pour y faire exister mes personnages, je pense souvent à la façon dont il assemble son petit univers. Je désire créer un monde vivant et coloré comme le monde d'Hergé peut sembler vivant et coloré. Je ne veux pas que mon univers ressemble au sien, je désire simplement qu'il attise l'imagination de la même manière.
(Entretien avec James Kochalka réalisé en 2005 via courrier électronique - copyright James Kochalka/Nicolas Verstappen)
jeudi, octobre 27, 2005
Tintin back in America (I): R. SALA/J. KOCHALKA
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3 commentaires:
Toujours aussi passionnant. Merci
Merci de me lire...
Et oui comme je te l'ai dit dans un email, Ici(USA)La Belgique commence à se faire connaître au travers de Tintin. Quel emblème!
Quand on pense que Spielberg est interessé, on a de quoi être fière.
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