dimanche, juin 28, 2009

XeroXed (XV): MIRIAM KATIN


Couverture de quinzième carnet d'entretien XeroXed
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XEROXED XV: MIRIAM KATIN
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C’est en 2006 et à l’âge de 63 ans que Miriam Katin conçoit les cent vingt pages de son premier roman graphique baptisé Seules contre Tous. On pourrait tenir cette information sur le début tardif de sa carrière dans la bande dessinée comme anecdotique mais il n’en est rien. Car cela implique qu’elle était âgée de trois ans lors de l’occupation de la Hongrie par les troupes allemandes puis russes durant la Seconde Guerre Mondiale. La jeune enfant juive connut ainsi avec sa mère la clandestinité tout au long d’une errance marquée par la violence, la mort, les délations et, pour seul salut, quelques actes de générosité isolés. Retour sur le parcours atypique d’une dessinatrice qui, comme Debbie Drechsler, ne put que « vomir » le poids de son passé.
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Présentation de Miriam Katin sur le site de Drawn & Quarterly
Présentation de Seules Contre Tous sur le site BulleDair.com
Présentation du collectif Le Tour du Monde en Bande Dessinée volume 1 sur le site de Delcourt
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Couverture de l'album Seules Contre Tous paru aux éditions du Seuil
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ENTRETIEN AVEC MIRIAM KATIN
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Nicolas Verstappen : Vous avez démarré votre carrière dans la bande dessinée à l’âge de 58 ans. Etiez-vous déjà familière avec ce médium ou l’avez-vous découvert tardivement ?

Miriam Katin : Mes deux garçons (âgés aujourd’hui de 36 et 40 ans) ont fait mon éducation au travers des albums de Tintin et d’Astérix lorsque nous vivions en Israël. Aux Etats-Unis, ces séries étaient bien moins populaires et mes enfants ne s’intéressaient que très peu aux super-héros. En 1986, on me commanda une série de bandes dessinées d’après des publicités que nous avions produites en Israël pour le studio d’animation qui m’employait. Je m’y attelai et fus séduite par cette forme de narration. Mon premier travail personnel date cependant de 2000. Je travaillais alors avec de jeunes dessinateurs de Disney et MTV qui avaient entrepris d’éditer une anthologie de leurs travaux. Ils inclurent ma première histoire dans ce recueil baptisé Monkey Suit. Ce récit traitait de ma famille et de mon enfance. Ce sujet occupe mes pensées comme une sorte de flot narratif ininterrompu. Je ne suis pas une écrivain mais, sachant dessiner, j’ai trouvé au travers de la bande dessinée un moyen modeste de l’aborder.

NV : Pour quelles raisons aviez-vous quitté Israël pour les Etats-Unis en 1963 ?

Miriam Katin : Je venais de terminer mon service militaire et j’ai voulu quitter au plus vite cet endroit pour barouder quelques temps à travers le monde comme le font encore aujourd’hui les jeunes Israéliens.

NV : Durant ce service militaire obligatoire, vous avez travaillé comme « artiste graphique ». En quoi consistait ce poste au sein de l’Armée de Défense Israélienne ?

Miriam Katin : Mon service était obligatoire mais je l’ai apprécié de bout en bout. Jeune fille réservée aux parents sur-protecteurs venant d’une Budapest guindée, j’ai accueilli à bras ouverts à l’âge de 18 ans le sentiment de liberté qu’offre la vie de l’Armée. C’est ce que j’appelle la « romance terrible » de la vie militaire (l’odeur de la graisse pour fusil me plonge encore dans un état second où se mêlent mes souvenirs de jeunesse). Mon travail de graphiste est présenté dans la case inférieure gauche du récit Live Broadcast. Nous dessinions et écrivions des instructions militaires sur de grandes feuilles de vinyl noir avec de la peinture à l’huile blanche. Ce travail nous rendait parfois fou mais nous étions déjà un groupe un peu dérangé à la base.

NV : Vous avez principalement travaillé dans le domaine de l’animation. La technique du storyboard vous a-t-elle aidée dans votre travail en bandes dessinées ou avez-vous dû vous en éloigner ?

Miriam Katin : Ma tâche principale dans le domaine de l’animation était liée au design des décors. J’ai réalisé au cours de ces années de nombreux croquis et pour la plupart de personnes en mouvement. Je pense que mes bandes dessinées ont gardé cette dynamique du mouvement « réaliste ». Du moins, c’est ce qui est généralement noté dans les articles concernant mon travail.
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NV : Votre trait se rapproche sensiblement de celui de Raymond Briggs. Fait-il partie de vos influences graphiques ?

Miriam Katin : Le nom de Raymond Briggs est revenu souvent dans des articles traitant de mon travail et j’ai donc fait quelques recherches sur le sien. Je ne connaissais aucune de ses œuvres ni celles des autres grands auteurs de bandes dessinées. J’étais une vraie novice dans cet univers.

NV : Vous travaillez au crayon plutôt qu’à l’encre. Pourquoi avez-vous opté pour cette technique ?

Miriam Katin : Cela s’est produit de manière toute naturelle. En travaillant sur les croquis préparatoires des quatre planches de mon premier récit, je me suis éprise de la qualité de la ligne du crayon. Sa sombre mélancolie et ses gris semblaient exprimer à merveille ce que je désirais partager. Lorsque Chris m’a suggéré de travailler en couleurs, je lui ai répondu que j’avais toujours envisagé ces lieux et cette époque en noir et blanc. Sans doute ai-je été profondément influencée par les photographies de ces années-là et de manière plus intime par les quelques clichés pris par mon père durant la guerre.

NV : Votre récit How the Irish defeated the Hebrews dans le Rosetta #2 s’inscrit dans une tonalité bien différente du reste de votre corpus. Vous y décrivez avec beaucoup d’humour les passions adultérines qui prennent place dans les thermes de la Mer Morte. Pourquoi avez-vous décidé de travailler à l’encre sur ce récit ?

Miriam Katin : J’ai toujours apprécié travailler à l’encre et au pinceau. Je me suis éloignée de cette technique avec le temps et c’est un véritable problème car le trait du crayon se reproduit beaucoup plus difficilement. Au travers de cette histoire, je voulais tout simplement faire un récit plus léger et voir si j’étais toujours capable de manier le pinceau. J’ai passé un très agréable moment sur ce projet. Durant ces années passées près de la Mer Morte (1981-1990), je travaillais souvent dans la guest house et le spa gérés par le kibboutz Ein Geddi. De nombreux anciens guerriers décrépis y venaient et mes collègues me firent remarquer qu’ils partageaient encore des liaisons bien « volages ». A quelques pas de l’ancienne ville de Sodome, l’air transportait une épaisse odeur de sel, de souffre, de passion et d’intrigue amoureuse.

NV : Y a-t-il eu une sorte de déclic qui vous a mené de l’idée d’écrire Seules contre Tous à la mise en chantier de ce récit ?

Miriam Katin : Après plusieurs histoires courtes consacrées à mon enfance, une question restait latente : « Vous êtes née en 1942 en Hongrie. Vous êtes juive. Comment avez-vous survécu ? Il doit y avoir une histoire... » Oui, il y a bien une histoire mais ma mère étant encore en vie (et en bonne santé), il m’avait semblé impossible d’aborder ce sujet. Au bout de quelques temps... et suite à l’insistance de mon éditeur... et après m’être demandée ce que je pouvais bien attendre... j’ai dessiné un découpage préparatoire pour une histoire de 35 pages. Chris Oliveros m’a alors suggéré d’étendre ce récit pour en faire un livre.

NV : La bande dessinée offre la possibilité à l’auteur victime d’un trauma de conjuguer à sa guise les mots, les images (lorsque les mots sont trop douloureux) et les ellipses. Elle lui offre aussi une certaine intimité avec son lecteur. La bande dessinée n’était-elle pas une des formes les plus appropriées à l’expression du drame que vous avez vécu ?

Miriam Katin : Je crois que votre analyse est juste mais c’est une chose dont je n’avais pas conscience à mes débuts. Mon troisième récit, intitulé Parfait et publié dans Viva la Monkeysuit en 2001, traite d’un incident lié à la pédophilie lorsque j’étais enfant à Budapest. Au départ, j’ai pensé que je cherchais simplement une histoire forte et peut-être que c’était le cas à l’époque. Pour Seules contre Tous, ce fut quelque chose de très différent. De nombreuses personnes me parlant de la question de la catharsis, je dû me rendre à l’évidence qu’elles avaient vu juste.
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Croquis à Jérusalem
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NV : Sur votre site, vous écrivez que vous essayez de « trouver la ligne qui relie les événements, les gens, les causes et les effets au travers d’images et de quelques mots ». Dans votre histoire Oh, to Celebrate !, vous voyagez constamment entre vos souvenirs d’enfance et votre table à dessin pour tenter de comprendre comment l’alcool a pris une place aussi importante dans votre vie. L’alcool fut-il un chemin de traverse pour parvenir plus rapidement à l’oubli ?

Miriam Katin : L’alcool a toujours été présent dans ma vie. Dans l’Europe de mon enfance, il n’était pas lié à une interdiction stricte pour les enfants comme c’est le cas aux Etats-Unis. Durant mon service militaire, la consommation d’alcool était devenue coutumière. J’ignore si nous buvions pour « oublier », pour nous « aider à vivre avec ». Mon mari pense que c’était le cas. Une chose est sûre cependant. Lorsque je rends visite à ma mère, nous buvons un apéritif sans attendre et ce quelle que soit l’heure de la journée (à l’exception du petit-déjeuner). Dernièrement, nous nous servons du Scotch. Elle a 90 ans et nous passons un agréable moment. Ce n’est qu’après avoir terminé Seules contre Tous que j’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agissait là à la fois d’un rituel et d’une célébration.

NV : Vincent Bernière m’a signalé que votre première rencontre avec Art Spiegelman fut relativement froide. Quel fut votre sentiment à cet égard ?

Miriam Katin : A la première rencontre, à la seconde, à la troisième... J’étais si impatiente et honorée de le rencontrer que je ne savais pas à quoi m’attendre. Et à quoi aurais-je dû m’attendre ? Si je devais comparer son accueil à celui plus chaleureux des autres auteurs, je dirais que le sien était très différent. Peut-être est-il dérangé par le fait que l’on compare (bien qu’il ne pourra jamais y avoir de comparaison avec son œuvre) ou plutôt mentionne son nom à chaque fois que l’on m’interviewe. Je suis aussi nouvelle dans le métier et je suis donc peut-être considérée comme une dilettante ou une intruse.

NV : Vous avez d’abord été « horrifiée » par l’idée qu’une bande dessinée sur la Shoah comme Maus puisse exister. Vous avez changer d’avis plus tard. Comment définiriez-vous la relation que vous entretenez avec cette œuvre ?
Miriam Katin : On ne parlait que très peu de l’Holocauste (qui est une expression d’ailleurs relativement récente). On n’abordait ce sujet ni dans ma famille ni dans les écoles. Même en Israël. C’était aussi quelque chose de profondément personnel à mes yeux. La perte. La douleur. J’envisageais toutes les œuvre liées à la guerre comme étant intrinsèquement tragiques et sombres même si je ne les lisais ou ne les regardais pas. Lorsque j’ai aperçu Maus dans la vitrine d’une librairie à Tel Aviv, je n’ai songé qu’à deux choses : il semblait s’agir d’une bande dessinée avec des personnages de « cartoon » et la couverture présentait une Swastika. Cela m’a répugné au point de ne pas vouloir prendre le livre en main. Les libraires devaient sans doute éprouver la même chose car il avait été placé dans un coin de la vitrine à même le sol. Un an plus tard, je travaillais aux côtés de Simon Deitch à New York. Kim et lui avaient été publiés dans la revue RAW et j’en ai donc acheté un exemplaire. Un chapitre de Maus était présenté dans ce numéro et je lui ai donc accordé une nouvelle chance. J’ai rapidement acheté les deux livres de Maus et je les considère comme l’expression la plus forte de l’Holocauste qu’il m’ait été donné de découvrir. J’avais enfin « compris ». Les animaux et tout le reste. RAW fut aussi le premier ouvrage de bande dessinée à l’approche aussi sérieuse que j’eus l’occasion de lire. Cela me donna l’envie de produire ma première histoire et Maus me donna une forme d’autorisation à évoquer mes propres souvenirs et ceux liés à ma famille.

NV : Le récit de type autobiographie est au centre de travail. Qu’en est-il de la fiction ?

Miriam Katin : J’ai travaillé sur deux histoires qui n’était pas liées à ma vie dans le deuxième volume de l’anthologie Rosetta. La première était basée sur un scénario de Suat Ng Tong et l’autre évoquait les passions amoureuses au bord de la Mer Morte. Mon reportage sur Obama est plus difficile à définir. Cependant j’ai bien une idée ou deux pour la fiction. Mais il y a cette histoire... Une histoire qu’il m’est pénible de raconter et sur laquelle je dois me pencher avant toute chose... Mon mari pense que je n’y parviendrai jamais. Je dois parler de mon père que j’aimais tant et qui est décédé en 1996. J’étais très proche de lui. Ses quelques apparitions dans Seules contre Tous furent les pages les plus difficiles à rendre sur un plan émotionnel. Mon mari dit que je tente de tout faire pour éviter d’entamer mon prochain livre qui devrait lui être consacré en grande partie. Il a peut-être raison.

NV : En quoi les souvenirs de votre père sont-ils un sujet si difficile à aborder ?

Miriam Katin : Je ne suis pas certaine de la réponse. Les photographies de la guerre que je reproduisais dans Seules contre Tous me plongeaient irrémédiablement dans une profonde tristesse. Je crois que c’est de penser à la grande injustice de sa souffrance qui me met dans un tel état. De plus, même si mon père survécut, les circonstances ne lui permirent jamais de réaliser pleinement ses aspirations professionnelles. Cela m’a toujours attristée.

NV : Vous envisagez aussi de parler dans un prochain récit du choc que provoqua pour vous l’installation de votre fils Ilan à Berlin à cause de votre « système de pensée fondé sur l’Holocauste ». Est-ce là aussi une approche cathartique lié à ce problème ou une façon d’apporter, au travers de ce récit, une conclusion à un cheminement effectué en amont ?
Miriam Katin : Seules contre Tous formait bien un épilogue mais pour mon récit sur Berlin l’approche est différente. Cela se déroule aujourd’hui et Ilan vient de s’y installer. Cela me demande un travail intérieur. Mais que puis-je faire d’autre ? Lorsque Ilan a pris sa décision, la question du droit de résidence et de travail en Allemagne s’est posée. Il s’est aperçu qu’il pouvait bénéficié de la nationalité hongroise car j’étais née en Hongrie. Je ne suis plus de nationalité hongroise mais cela compte malgré tout. Les règles du jeu changent... L’ironie de tout ceci ne lui a pas échappé : je viens de publier un album dans lequel je témoigne des atrocités commises dans ces pays durant la Deuxième Guerre Mondiale et mon fils fait des démarches pour obtenir un passeport hongrois pour partir vivre et travailler en Allemagne...

NV : Comment envisagez-vous votre citoyenneté aujourd’hui. Vous sentez-vous américaine, israélienne, hongroise ?

Miriam Katin : A la fois américaine et israélienne. On ne perd jamais sa nationalité israélienne mais je ne renoncerai jamais non plus à ma nationalité américaine car ce pays fut le pays le plus accueillant de tous.
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[Entretien réalisé en janvier 2009 via courrier électronique pour le carnet XeroXed #15 offert à l'achat du collectif Le Tour du Monde en Bande Dessinée volume 1 paru aux éditions Delcourt.]
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Cet entretien est aussi disponible dans sa version originale (anglaise) sur le site du9.org .
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Mes sincères remerciements à Miriam Katin, Vincent Bernière & Xavier Guilbert. Nicolas.


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