Du latin infans, "qui ne parle pas"
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"On revêt une forme animale lorsqu'on est exclu de la parole des hommes. Soit parce qu'on ne vous écoute pas. Soit parce qu'on n'accorde pas à votre parole la qualité d'une parole adulte". Cette réflexion de Joann Sfar exprime parfaitement combien l'utilisation de personnages animaliers est porteur d'un sens tout particulier. Victime ou témoin de violence, confiné dans le secret, l'enfant est privé de parole et trouve dans le règne animal des compagnons d'infortune qui partagent son mutisme. Dans L'Île aux cent mille morts, la jeune Gweny porte bien des traits animaliers mais, pour le coup, n'a pas sa langue dans sa poche! Quittant sa mère atteinte de démence pour retrouver son père disparu en cherchant un trésor, la fillette convainc de cruels pirates de l'emmener avec eux dans la quête du magot. Gweny doit se montrer des plus ingénieuses pour retrouver cette fameuse île légendaire sans se faire doubler par ces corsaires sanguinaires qui n'en veulent qu'aux pièces d'or. Pour assurer sa protection, elle fait donc preuve d'une incroyable témérité en faisant chanter un flibustier qui dissimule un vil secret. C'est là un bien joli coup d'esbroufe car la jeune fille ne sait rien de ce qu'il cache à ses acolytes... Elle sait par contre une chose pour sûr; une embuscade les attend sur l'Île aux cent mille morts. Une mystérieuse organisation y a installé un pensionnat où de jeunes élèves sont formés à un métier qui demande sang-froid, rigueur et minutie. Commis de cuisine? Chirurgien? Inspecteur des Impôts? Non, vous n'y êtes pas. Fabien Vehlmann et Jason ont songé au pire: BOURREAU! Cette profession méconnue et bien mal jugée -je vous l'assure- nécessite un savoir-faire exemplaire qui ne s'acquiert qu'au travers de nombreux travaux pratiques. Toute personne capturée sur l'île sera donc soumise à la question par de petits pensionnaires appliqués. A moins de tomber sur le mauvais élève de la classe...
Avec L'Île aux cent mille morts, Vehlmann et Jason nous offrent une aventure trépidante à l'humour "féroce". Féroce comme le sont les animaux sauvages, féroce surtout comme le sont les Hommes. L'utilisation de personnages animaliers permet, aussi, d'affronter la cruauté de ce monde, et la nôtre, tout en conservant une saine distanciation pour les plus jeunes lecteurs. La ligne claire de Jason, son découpage systématique en gaufrier, ses yeux dessinés en ovale où l'on injecte ses propres émotions autant qu'on cherche à en percer le mystère, permettent de contenir les frissons que l'on sent poindre au bas de notre dos et de laisser place au rire. La rencontre entre les univers si pénétrants et si singuliers de FABIEN VEHLMANN (Seuls , Les derniers jours d'un Immortel, Les cinq conteurs de Bagdad, Jolies Ténèbres...) et JASON (Attends..., Je vais te montrer quelque chose, J'ai tué Adolf Hitler...) donne lieu à un ouvrage "tous publics" remarquable et à un remarquable ouvrage "tout court". Je suis donc ravi de pouvoir vous annoncer, non sans quelque émoi, que nous lui consacrerons une exposition dans quelques mois!
Nicolas
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L'Île aux cent mille morts de Fabien Vehlmann et Jason, éditions Glénat
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- Les premières planches en ligne sur le site 8comix.com
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