samedi, janvier 22, 2011

"Lucille" et "Renée" de Ludovic Debeurme

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Comme une lame de fond
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"Un homme ne doit jamais oublier d'où il vient". Mais qu'en est-il lorsqu'on est né dans un village de pêcheurs pris dans le filet du désoeuvrement? On s'effrite lentement, on disparaît un peu chaque jour. Et puis l'on rencontre plus vulnérable que soi... Lorsque le jeune Arthur découvre Lucille, une jeune adolescente rongée par l'anorexie, il en oublie jusqu'à ses propres troubles compulsifs. Lorsque Lucille se voit comme elle ne s'est jamais vue dans le regard d'Arthur, elle songe à ne plus s'imposer le corps d'une "autre". Leur Destin est désormais lié, pour le meilleur et pour le pire, dans une fuite éperdue. Leur fugue vers l'Italie sera le lieu d'instants aussi fragiles que ne le sont Lucille et Arthur, fragiles comme la coque d'un bâteau qui frôle le récif. Hélas, lorsque la houle se lève, la Mer nous met à nu. Tout marin expérimenté que l'on soit, on ne peut lui mentir.

Une grande part du talent de Ludovic Debeurme réside justement là; l'auteur ne s'encombre d'aucun artifice. Dans Lucille, il se passe de couleurs et d'ombrages qui ne feraient que peser sur les frêles silhouettes qu'il tire de son trait épuré. Il renonce aussi aux cases et à leurs bordures pour laisser ses personnages évoluer sur la planche comme s'ils étaient plongés au coeur d'un océan. Loin de la côte. Sans fard.

Dans Renée, le second volet du diptyque, les traits et les hachures surgissent soudain comme pour incarner la marque du temps qui s'est déposée sur les visages. Les années se sont écoulées, les âmes se sont chargées de souvenirs, de songes et de fantômes. Chaque trait est une ride. Chaque ride est un barreau. Comme ses codétenus, le jeune Arthur ne le sait que trop bien. Dans sa cellule, il a tout le temps de repenser aux mots de son père. "Un homme ne doit jamais oublier d'où il vient". Arthur voudrait seulement oublier où il est. Lucille et Renée aussi.

Comme pour la publication du Je ne t'ai jamais aimé de Chester Brown en 1994 ou celle du Black Hole de Charles Burns en 2005, la parution du diptyque formé par Lucille et Renée est à marquer d'une pierre blanche. Ou plutôt de deux...

Nicolas
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Renée et Lucille de Ludovic Debeurme, éditions Futuropolis
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- Lien vers un reportage d'Arte intitulé Renée, la violence selon Ludovic Debeurme.
- Une présentation de Renée sur le site des éditions Futuropolis.

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