Nouveau titre et nouvelle maquette pour Hemingway. Copyright Jason/Carabas
N.- Comment en es-tu venu à te lancer dans l’album « grand format cartonné couleurs » comme Je vais te montrer quelque chose et Hemingway?
Jason – Je désire vivre de mes bandes dessinées et pas seulement en faire un hobby ; il se trouve que ce n’est pas aisé avec une production de petits albums en noir et blanc. J’avais envie de toucher un public plus large et il y avait aussi un défi dans la création d’un album traditionnel à 48 pages du même type que ceux avec lesquels j’ai grandi.
N.- Le découpage de Je vais te montrer quelque chose révèle bien ce rapport aux albums traditionnels. Chaque planche est découpée en quatre bandes horizontales d’une hauteur égale. Kevin Huizenga (1) évoque cette approche sous le nom de « méthode Tintin ». Partages-tu cette référence ?
Jason – Tout à fait. Cela est entièrement dû à Tintin. Je voulais essayer au moins une fois cette méthode. Je vais te montrer quelque chose est beaucoup plus proche des bandes dessinées franco-belges classiques que mes récits précédents et j’ai emprunté ce système pour cet album. Dans mon second album, je suis revenu à mon ancienne méthode. Hemingway est aussi en couleurs mais il est plus proche de mes anciens travaux.
N.- Tu y retrouves en effet ton découpage en cases égales. Ce système du « gaufrier » t’est venu naturellement ou t’a-t-il fallu du temps avant de l’adopter ?
Jason – J’aime la grille. Comme j’avais utilisé le style franco-belge dans mon album précédent, je désirais la retrouver mais avec neuf cases au lieu de six. J’ignore pourquoi mais elle m’attire. Elle annonce que tout est dans le récit et non pas dans un découpage fantaisiste.
N.- A-t-il été difficile de faire publier Hemingway et Je vais te montrer quelque chose ?
Jason – J’ai rencontré quelques difficultés à trouver un éditeur. J’ai écrit le scénario, dessiné les dix premières planches et envoyé le dossier un peu partout mais sans réponse. J’ai ensuite rencontré Jérome Martineau (2) à San Diego et il s’est montré intéressé par mon projet. J’ai donc dû aller aux Etats-Unis pour trouver un éditeur français.
N.- Tu n’as pas réalisé la colorisation des deux albums publiés chez Carabas. Correspond-elle à tes attentes ?
Jason – Je suis très content du résultat. Hubert a fait un travail bien supérieur à celui que j’aurais pu réaliser. Cela tient à une raison bien simple: je n’y connais rien à la colorisation par ordinateur et c’est l’effet d’aplat qui lui est propre que je recherchais.
N.- Cette colorisation t’a poussé à modifier ton approche du dessin ?
Jason – Oui. Une chose que j’ai apprise en travaillant sur ces albums colorisés c’est qu’il faut « clore » toutes les lignes. Cela facilite le travail du coloriste. Dans un album noir et blanc, j’utilise plus de noir pour illustrer par exemple un ciel de nuit. Dans un album en couleurs, je laisserai ça au coloriste.
N.- Une autre contrainte que tu as rencontrée avec Je vais te montrer quelque chose tenait de l’écriture préalable du scénario pour monter le dossier. Tu as plutôt l’habitude d’improviser le récit au fil des planches que tu dessines. Cela t’a semblé être une contrainte difficile ?
Jason – Oui, cela n’a pas été évident. Faire tenir l’histoire dans le format spécifique des 46 planches a aussi été un travail supplémentaire. Hemingway par contre a été écrit selon une méthode plus proche de l’ancienne. J’ai conçu la première moitié avec seulement une idée générale de la seconde. Je ne découpe les planches que par série de huit ou dix à la fois. Si j’avais préalablement résolu les problèmes de découpage et de narration de tout l’album, je m’ennuierais.
N.- Tu sembles avoir une grande liberté de création sur Hemingway. L’éditeur te fait toute confiance ?
Jason – Je n’ai pas dû montrer l’entièreté du scénario à Jérome. Je lui ai seulement envoyé les dix ou quinze pages de script pour qu’il les traduise. Je me sens vraiment libre d’écrire le type de récit que j’ai envie de raconter. On ne m’a jamais dit : « Non, tu ne peux pas faire ça ».
N.- Avant d’être baptisé Hemingway, l’album portait le titre de « Demain, peut-être ». Pourquoi cette modification de dernière minute ?
Jason – Je n’ai jamais vraiment été satisfait par « Demain, peut-être » et je voulais un autre titre. Je pense que ce titre aurait pu correspondre mais je préfère « Hemingway ». Ce nom à lui seul crée toutes sortes d’associations à la violence et aux durs à cuire. Je crois que cela correspond donc bien à l’album. De plus Hemingway est le personnage principal !
N.- Le récit de Je vais te montrer quelque chose se déroule à Bruxelles, celui d’Hemingway à Paris. Est-ce important pour toi de faire référence à des villes bien précises ?
Jason – En quelque sorte. Pour le premier je voulais que l’histoire prenne place dans une ville française ou belge. Il se trouve que j’habitais à Bruxelles à l’époque. J’aime l’idée de vivre un temps dans une ville et d’utiliser ensuite cette expérience dans une bande dessinée. Ainsi Hemingway se déroule à Paris où j’ai aussi vécu et je veux faire un album qui aurait Montpellier comme décor car c’est la ville où je vis actuellement.
N.- Comment envisages-tu ta future production ? Comptes-tu travailler selon un principe d’alternance entre des albums noirs et blancs et des albums couleurs ?
Jason – Oui, j’aimerais bien. Je viens de terminer un album noir et blanc pour Atrabile et j’ai une idée pour un autre album du même type. Mais pour le moment je me consacre au prochain album couleurs. Comme je l’ai dit, il y a plus de rentrées pour les albums couleurs…
N.- Fantagraphics Books a aussi publié Meow Baby dont il n’existe pas de version française. Celle-ci verra-t-elle le jour ?
Jason – J’espère. Soit par Atrabile, soit par Carabas.
N.- Il existe aussi la compilation Mitt Liv som Zombie qui regroupe des récits parus dans ta revue Mjau Mjau. Penses-tu un jour tenter une version française de cet album ou crains-tu que ton lectorat franco-belge ne se retrouve pas dans ces histoires au style graphique fort différent de ce qu’il connaît ?
Jason – Si un éditeur est intéressé, je n’ai rien contre. Je supprimerais le matériel le plus ancien et le plus faible mais le recueil ferait encore une centaine de pages.
Couverture de la version américaine de Chhht!. Copyright Jason/Fantagraphics
N.- Les couvertures des éditions étrangères de tes albums sont fort différentes. La couverture américaine de Chhht ! (Fantagraphics) est en couleurs directes mais celle de la version française est beaucoup plus sobre. Je suppose que tu as réalisé cette dernière pour rester dans le ton des maquettes d’Atrabile. Aurais-tu préféré réaliser une couverture en couleurs directes ?
Jason – Le problème des couvertures en couleurs directes tient du fait que la version imprimée ne correspond presque jamais à l’original. Il y a toujours une différence. Les couleurs sont plus vives ou plus ternes. Avec un dessin fait au trait noir et avec une seule couleur, le résultat est toujours plus proche de ce que je me suis figuré mentalement. Le deuxième tirage de Chhht ! aux Etats-Unis sera modifié. Il sera identique à la version francophone et plus aucune des couvertures américaines ne sera en couleurs directes.
N.- Une dernière question pour conclure : si tes albums de 46 planches étaient un défi créatif en référence aux bandes dessinées classiques, le prochain ne serait-il pas de tenter une série ?
Jason – Oui, je veux faire une série mais jusqu’à présent je n’ai eu que des idées pour des histoires en un volume. La fin est très importante pour moi et elle est très importante pour l’histoire. Une histoire ne peut pas durer indéfiniment. Mon problème est donc de trouver un personnage que j’aime et qui pourrait cadrer dans plusieurs récits.
(1) Kevin Huizenga est l’auteur de 28ième Rue chez Vertige Graphic. Son entretien sera bientôt disponible sur Xeroxed.
(2) Jérome Martineau est le directeur de publication des éditions Carabas.
(entretien réalisé par courrier électronique en novembre 2005 - copyright Jason/Nicolas Verstappen)