© Liz Prince/Nicolas Verstappen/Cà et Là
Le treizième numéro du XeroXed est désormais disponible chez Multi BD. Il est consacré à la jeune dessinatrice américaine LIZ PRINCE et est offert à l'achat d'un de ses albums (Delayed Replays vient de paraître!). Ce livret reprend un entretien avec Liz ainsi que six illustrations inédites tirées de ses carnets de croquis!
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Entretien avec Liz PRINCE
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Nicolas - La bande dessinée vous a intéressé dès la troisième primaire (« cours élémentaire 2 » en France). Quels étaient les albums que vous lisiez à l’époque ?
Liz Prince - Les « canards » de Carl Barks et Don Rosa (Donald Duck, Oncle Picsou et les autres…) furent ma toute première inspiration. J’ai collectionné ces albums durant de nombreuses années. J’ai découvert plus tard le premier épisode de Bone dans la revue Disney Adventures qui compilait divers entretiens et des bandes dessinées. C’est à la lecture de Bone que j’ai eu envie de concevoir mes propres récits même si ces derniers n’avaient rien en commun avec la série de Jeff Smith. Ensuite j’ai découvert les bandes dessinées d’Evan Dorkin et d’auteurs comme Scott Morse et Jim Mahfood .
N - Vos récits ont été publiés pour la première fois en 1994 alors que vous aviez treize ans. Etait-ce dans un fanzine ?
Liz Prince - Mes bandes dessinées étaient publiées dans une revue locale de Santa Fe baptisée Are We There Yet ?. On m’a ensuite demandé de contribuer à plusieurs fanzines à travers le pays. Je ne me rappelle plus du nom de la plupart d’entre eux.
C’est en publiant mes dessins sur le site internet The Art Conspiracy que mon travail a finalement été l’objet d’une plus grande attention. J’ai établi des contacts avec Kaz Strzepek et Jamie S. Rich via le web. Internet est un excellent outil pour créer ce type de liens.
N - Est-ce que la publication de strips sur internet vous pousse à garder un certain rythme ? Vous écriviez en 2002 : « J’aime l’idée d’avoir un délai imparti d’une semaine pour dessiner un récit. Cela devrait lancer le moteur ».
Liz Prince - La satisfaction immédiate procurée par les réactions sur internet a été une très grande source de motivation. Mais je dois vraiment éprouver l’envie de dessiner une histoire pour m’y mettre. Rien ne m’énerve plus que l’explosion de journaux intimes dessinés sur le web dont la qualité est souvent médiocre. Le but de l’auteur est de dessiner une histoire par jour et si rien d’intéressant n’arrive ce jour-là, il dessinera un récit qui dira : « rien d’intéressant aujourd’hui ». C’est du temps perdu tant pour l’auteur que pour le lecteur. C’est la raison pour laquelle ma philosophie a toujours été de ne pas gaspiller ma sagesse « proverbiale » si je n’avais rien à raconter. En fait, plutôt que de répondre directement à votre question, je me justifie sur la raison pour laquelle il y a souvent des périodes creuses dans un planning de publication déjà irrégulier…
N - Vos strips sont publiés sur internet et en album chez Top Shelf (et Cà et Là en français) mais vous continuez à les autoéditer préalablement sous la forme de mini comix. Comme Kevin Huizenga ou John Porcellino , vous semblez vouloir poursuivre la conception de mini albums photocopiés pour le plaisir que procure ce type de production artisanale.
Liz Prince - C’est exact. J’adore aller chercher un paquet de mini comics fraîchement imprimés au magasin de photocopies. Le pliage et l’agrafage de livrets procurent aussi un sentiment incroyablement apaisant durant plusieurs heures.
Les bandes dessinées auto-publiées sont celles que j’achète avec le plus de plaisir lors des festivals. J’ai d’ailleurs fait l’acquisition lors du SPX (ndt : Small Press Expo) de l’année dernière d’un album dépliable en accordéon entièrement conçu avec une sérigraphie très élaborée. Il s’intitule The Gem Cave et il est à mes yeux l’un des albums les plus précieux de ma collection.
N - Vous signalez dans un entretien que vos études artistiques vous ont apportées avant tout des connaissances sur la conception et la fabrication de livres mais finalement assez peu sur le dessin en lui-même.
Liz Prince - En effet. Je me pose souvent des questions sur le choix de ce parcours car on peut envisager que mon dessin aurait évolué de manière naturelle pour arriver à mon style actuel même sans suivre de cours. Je n’ai pas encore obtenu mon diplôme mais j’ai assisté à mes derniers cours artistiques au printemps passé (2006). Depuis que ceux-ci ont cessé, j’ai le sentiment d’avoir produit mon travail le plus abouti. Je pense que mon expérience en Ecole des Beaux-Arts fut positive et utile mais je m’interroge encore sur le nombre de techniques que j’ai vraiment pu y découvrir.
N - Votre style graphique est très particulier car vous encrez directement, sans croquis préalable. Dans vos messages sur internet, vous utilisez souvent le terme « sketchy » (incomplet, flou) pour définir votre personnalité. Pourrait-on lier ce trait à votre style de dessin qui tient de l’ébauche (« sketch ») ?
Liz Prince - Ma personnalité a peu de choses à voir avec mon style de dessin. Cette façon de dessiner tient plus d’une faiblesse artistique…
N - Ce style fait aussi preuve d’une grande économie graphique. Pour Jeffrey Brown , il y a une nouvelle tendance d’illustrer le quotidien dans les bandes dessinées alternatives américaines. Igort , le responsable éditorial de Coconino Press, a qualifié ce mouvement d’anti-spectaculaire. Avez-vous aussi constaté cette nouvelle tendance ?
Liz Prince - Je suis d’accord avec cette idée qu’il existe aujourd’hui une vague « anti-spectaculaire ». Je pense qu’il y a quelque chose d’incroyablement réconfortant dans le fait de trouver du sens dans les instants les plus anodins de la vie. Des bandes dessinées comme les miennes, celles de Jeffrey et particulièrement celles de James Kochalka (même si je crois qu’il force parfois un peu le trait) comblent ce besoin. Je retrouve nombre de mes propres expériences dans des tranches de vie racontées dans des albums autobiographiques. Je crois que ce que mes lecteurs apprécient dans mon travail tient de cette familiarité, de cette capacité à s’identifier entièrement. Je reçois beaucoup de courriers dans lesquels mes lecteurs me signalent que mes récits leur rappellent des instants de leurs propres relations sentimentales auxquels ils n’ont parfois pas prêté attention mais qui rendaient en réalité le début de ces relations si spéciale. Ce que je veux dire ici c’est qu’une conversation à propos des orteils ne mérite sans doute pas d’être racontée dans un strip mais la relation qui se noue au sein du couple qui tient cette conversation mérite de l’être.
N - Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder les récits de l’intime ?
Liz Prince - Les récits autobiographiques me sont toujours apparus de manière très naturelle. Ce sont ceux que je prends le plus de plaisir à lire et à dessiner. J’ai une certaine tendance à l’indiscrétion. Si je m’intéresse à quelqu’un, je vais tenter d’en savoir le plus possible à son propos. Je pense que ma curiosité pour la vie privée des autres m’a poussé à croire que la mienne pourrait aussi les intéresser.
N - Quelles sont les bandes dessinées autobiographiques qui ont été importantes dans votre découverte de ce genre ?
Liz Prince - Les premiers albums autobiographiques que j’aie lus étaient ceux d’Evan Dorkin et Ariel Schrag . Ils ont eu une grande influence sur moi. Je me suis aperçue que je relisais tous les albums d’Ariel Schrag au moins une fois par an. Je suis frappée à chaque fois par la manière dont elle tente d’être honnête au point de mettre mal à l’aise. Cela me pousse à atteindre ce point de confiance en moi où je pourrais partager avec un inconnu mes secrets les plus intimes car je serais parvenue à me sentir moi-même à l’aise avec ces derniers.
Le travail de Jeffrey Brown a aussi façonné ma façon de concevoir des bandes dessinées. Il raconte des histoires exactement de la manière dont j’envisage les miennes dans ma tête. Nous partageons la même approche du rythme et des pauses. Sa narration et la mienne sont ainsi fort similaires. J’espère cependant garder une perspective assez différente pour ne pas avoir le sentiment de faire du « réchauffé » de son travail tout au long de ma carrière.
N - Jeffrey Brown travaille généralement avec un système de six cases égales dans ses albums (cfr Clumsy). Vous êtes plus libre dans votre approche du découpage. Pourquoi optez-vous pour un système plus « organique » ?
Liz Prince - J’aime les différentes possibilités narratives qu’offrent le contrôle du rythme, du découpage et de la taille des cases. Je considère que c’est l’une des propriétés les plus singulières du neuvième art. Je garde un système traditionnel de trois cases pour mes strips humoristiques mais si une histoire drôle ne tient pas dans ce format, elle mérite d’être développée plus longuement. Je ne me cantonne jamais à aucun « procédé ».
N - Je trouve votre travail sur des strips en trois cases très réussi (et particulièrement votre série intitulée Liz versus Liz dans laquelle vous discutez avec votre double). Dessinez-vous depuis longtemps ce type de récits humoristiques ? Quels auteurs vous ont influencée ?
Liz Prince - Je dessine des strips humoristiques en vue d’une gratification immédiate. Lorsque je trouve quelque chose drôle, je le transpose sans attendre sous la forme d’un petit strip. En fait, j’envisage à peu près tout en termes de bande dessinée ; mes souvenirs sont découpés en cases successives.
Ma série Liz Vs. Liz me permet de jouer avec des concepts au lieu d’écrire des strips autobiographiques plus classiques. Elle me permet de créer des situations et de présenter mes dialogues intérieurs avec dérision. De plus, si vous jettez un œil dans mes carnets, vous constaterez que je me dessine sans arrêt. Cette série est une façon assez drôle d’exprimer le fait que je ne sais rien dessiner d’autre que mon propre visage.
J’ignore si ces strips représentent la quintessence de mon travail dessiné mais ils en forment une bonne partie. Un recueil de près de 80 strips vient d’ailleurs d’être publié chez Cà et Là (ndt : Delayed Replays) et sortira bientôt chez Top Shelf aux Etats-Unis.
Sinon, je lis très peu de strips dans les journaux mais je cite toujours Calvin & Hobbes comme l’une de mes références majeures.
N - Se dessiner soi-même tient parfois du besoin de se donner une forme ou une place dans le monde qui nous entoure. Est-ce lié chez vous à un problème de confiance ?
Liz Prince - Je ne crois pas que mes impulsions compulsives à me dessiner moi-même tiennent d’un problème de confiance ou de place dans le monde environnant. Elles sont plutôt liées à cette conviction que l’on ne devrait écrire « qu’à propos de ce que l’on connaît » et je ne connais personne mieux que moi-même.
N - Vous vous dessinez inversée, avec la mèche partant de droite à gauche alors qu’en réalité elle part dans l’autre sens. Vous dessinez donc votre reflet. La « Liz » des strips a-t-elle d’autres différences avec celle qui la dessine ?
Liz Prince - La « Liz » des strips est la même que celle qui la dessine sauf que cette dernière a un nez plus délicat. Je me dessine en reflet car c’est la seule manière dont je me vois. Si je devais me dessiner avec ma mèche dans le bon sens, j’aurais le sentiment de dessiner avec la main gauche (main avec laquelle je me dessine d’ailleurs en train de dessiner !)
N - Ne craignez-vous pas que d’envisager « à peu près tout en termes de bande dessinée » pourrait à un moment devenir un frein dans le renouveau de votre approche, d’être coincée dans un seul type de format pour vos récits ?
Liz Prince - Non. Je ne peux imaginer un moyen plus parfait que d’envisager le monde au travers des verres colorés de la bande dessinée. Même si je voulais me détacher de cette habitude, j’en serais tout simplement incapable car elle fait partie intégrante de ma vie depuis toujours. Je crois au contraire que c’est elle qui m’a permis de connaître la reconnaissance dont je jouis actuellement.
N - Sur le site des éditions Cà et Là, on peut lire que vous travaillez sur un roman graphique consacré au décès d’un ami. Dans votre entretien pour le Newsarama , vous ne mentionnez pas ce projet. Cet album est-il encore à l’ordre du jour ?
Liz Prince - Ce projet est toujours d’actualité même s’il est en hiatus depuis près d’un an. J’espère pouvoir y revenir bientôt. J’ai dû interrompre mon travail sur cet album car mes émotions étaient encore trop vives. Il m’était très difficile d’écrire avec un regard objectif. Ce livre devrait être baptisé Two-Headed Boy . Je ne peux pas encore garantir que je parviendrai à le terminer mais je ressens dernièrement l’envie de m’y remettre.
N - Comptez-vous aborder cet album dans le même style graphique que vos œuvres précédentes ?
Liz Prince - La différence principale entre Two-Headed Boy et mes strips humoristiques tient de ce que je réalise un découpage préparatoire et des crayonnés pour mes récits plus longs, dont ceux qui ont été publiés dans la plupart des anthologies auxquelles j’ai participé. Mes strips pour Delayed Replays et mes histoires courtes pour Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit? sont directement encrées sans crayonnés. C’est la raison pour laquelle elles paraissent plus « inachevées ».
N - Votre sélection de récits pour Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit? a-t-elle été compliquée ?
Liz Prince - Je vous répondrai que ce fut facile car tous les strips que j’ai dessinés sur ce thème ont été publiés dans l’album. Jusqu'à présent, mon mode d’opération consiste à atteindre un nombre assez élevé de pages et je me retrouve toujours à la limite de ne pas en avoir assez. J’en arrive à tout mettre par défaut.
N - Est-ce que l’avis de votre compagnon a une importance dans le rendu de certains aspects de votre intimité ?
Liz Prince - Bien entendu. Lorsque Kevin et moi étions ensemble et que je dessinais Tu m’aimeras encore si je fais pipi au lit?, j’étais sensible à ce qu’il ne voudrait peut-être pas rendre public. Dessiner le récit pour l’anthologie True Porn 2 fut particulièrement difficile à cause de la nature de l’histoire. Kevin a posé son veto sur quatre de mes idées avant d’accepter que j’utilise une planche à propos d’un appel téléphonique « érotique ».
N - Sur l’entête de votre blog, on peut lire : « There’s no Liz, only Zuul ». D’où vient cette phrase ?
Liz Prince - C’est une référence à Ghostbusters, l’un de mes films favoris depuis toujours. La réplique du film est prononcée par le personnage de Sigourney Weaver lorsque qu’il est possédé par le démon Zuul. Dr. Venkman tente de parler à Dana mais Zuul répond : « There is no Dana, only Zuul ».
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Entretien réalisé par courrier électronique en mai 2007. Copyright Nicolas Verstappen & Liz Prince.